Blackbird : vivre et laisser mourir

Quand on nous vend un film choral avec Susan Sarandon, Kate Winslet, Rainn Wilson, Mia Wasikowska et Sam Neill en mode repas familial par le réalisateur de Coup de foudre à Notting Hill, on s’attend à une bonne comédie dramatique tranquillou bilou. Voilà ce qui se produit quand on part voir Blackbird sans en lire le synopsis, parce que bonjour l’ambiance une fois arrivé.

En fait, c’est l’histoire d’un couple, Lily (Susan Sarandon) et Paul (Sam Neill), qui décide de réunir ses enfants et petits-enfants dans leur maison de campagne. Jusque là, tout va bien, vous me direz. Mais non : Lily est atteinte d’une maladie neurologique dégénérative, la maladie de Charcot. Pour ne pas se laisser prendre par la maladie, la mère de famille prend son destin en main et souhaite partager un dernier moment avec les siens avant… de s’euthanasier. Évidemment, ça tourne mal : tout le monde n’est pas à l’aise avec cette décision, mais cette réunion de famille est aussi l’occasion parfaite pour que les secrets et les non-dits de chacun remontent à la surface.

Remake de Silent Heart, film danois sorti en 2014, Blackbird a tout du film de commande pour Roger Michell, qui a malgré tout su, ces dernières années, rebondir d’un genre à l’autre entre Morning Glory avec Rachel McAdams et Harrison Ford et son adaptation de Ma cousine Rachel avec Rachel Weisz. Si sa mise en scène n’a rien de bien révolutionnaire (il faut l’avouer, c’est globalement très classique, champ/contre champ et paf, ça fait des Chocapic), Blackbird touche malgré tout son spectateur en plein cœur.

– Pourquoi on a accepté de faire ce remake Kate ?
– Parce que les américains ont toujours la flemme de lire des sous-titres.

Il faudra un peu de temps pour le spectateur avant de comprendre de quelle maladie souffre le personnage de Susan Sarandon, puisque le nom de la sclérose latérale amyotrophique (plus communément appelée SLA, ou encore la maladie de Charcot – dont souffrait le physicien Stephen Hawking et qui est abordée dans le biopic Une merveilleuse histoire du temps) se pose à peine sur les lèvres des personnages. Si vous ne la connaissez pas, sachez que la maladie de Charcot est une condition neurologique dégénérative qui paralyse peu à peu l’ensemble du corps et, par extension, affecte toutes les fonctions corporelles : les mouvements, la parole, l’équilibre, la respiration… Il n’est pour l’instant toujours pas possible d’en guérir, les traitements permettant seulement de ralentir la progression des symptômes, et chaque cas progresse d’une manière différente. Pour certains, la maladie les foudroie en quelques mois, pour d’autres, elle dure des années.

Il n’est pas question pour Roger Michell de représenter la maladie de manière misérabiliste mais, au contraire, de renforcer le jeu des apparences via le personnage de Lily : la plupart du temps, quand les lumières sont allumées et que les siens sont autour d’elles, le personnage de Susan Sarandon paraît tout à fait sain. Difficile de croire qu’on puisse la voir, quelques minutes auparavant, lutter au réveil avec son respirateur ou descendre un escalier avec une rigueur extrême, ne pouvant compter que sur l’équilibre d’une partie de son corps (telles sont les premières scènes du film). La maladie agit de manière insidieuse… et frappe toujours quand on ne l’attend pas. Une perte d’équilibre, un verre qui tombe, l’inquiétude est toujours présente au sein de la famille, tandis que Lily aborde la situation avec un flegme royal. Une nouvelle occasion pour Susan Sarandon de montrer l’étendue de son talent, bien qu’on aurait pu s’attendre à ce que la diction de son personnage puisse aussi avoir été atteinte par la maladie.

La maladie de Lily et son désir d’en finir auraient pu monopoliser toute l’attention de la famille, mais sens dramatique oblige, les travers et les torts des uns et des autres se dévoilent : il y a le couple formé par Kate Winslet et Rainn Wilson (le cliché du mec qui raconte des anecdotes dont tout le monde se fout – bref, un sosie de Dwight), qui traverse une crise conjugale et ne se considère plus véritablement l’un l’autre, leur fils Jonathan (Anson Boon) complètement perdu au milieu de tout ça ; la sœur cadette campée par Mia Wasikowska, persuadée d’être le vilain petit canard de la famille à cause de ses problèmes d’addictions… ou parce qu’elle est lesbienne (et ramène sa copine pour une super première rencontre !). Il y a aussi la meilleure amie du couple, Liz (Lindsay Duncan), qui ne les quitte jamais. Mais pourquoi est-elle là ? Pourquoi est-elle considérée comme faisant partie de la famille ? On ressent très vite la puissance du non-dit, l’anxiété commune qui plane au dessus de tout le monde. Le fait de ne pas discuter de ces problèmes personnels ou de la décision de Lily, sujet tabou (« the elephant in the room » comme diraient nos amis anglophones), rappelle inévitablement l’impossibilité du dialogue de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce – et le film choral de Xavier Dolan, qui rassemblait la crème de la crème du cinéma français. S’il y a moins d’ambition dans la mise en scène de Michell, le talent du casting et les dialogues rendent l’ensemble profondément authentique et émouvant, sans pour autant basculer dans le pathos.

Et parce qu’on ne parlera jamais assez de la nécessité d’ouvrir le débat sur la question de la fin de vie, Blackbird permet à ses personnages de dialoguer autour de cette décision, et malgré les contestations, il n’y a pas pour autant de jugement ni de moralisation, simplement une ouverture à l’évidence : chacun devrait avoir le droit d’éviter la souffrance ou l’acharnement thérapeutique, d’autant plus face à des maladies aussi sournoises.

Blackbird, de Roger Michell. Avec Susan Sarandon, Sam Neill, Kate Winslet, Rainn Wilson, Mia Wasikowska… Sortie française le 23 septembre 2020.

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