Minari : Korean Dream

Pour célébrer l’ouverture de sa quarante-sixième édition, le Festival du cinéma américain de Deauville s’offre le cinquième long métrage de Lee Isaac Chung : Minari. On y découvre une famille américaine d’origine sud-coréenne qui débarque au beau milieu de nulle part dans l’Arkansas, dans l’idée d’accomplir son propre rêve américain. Ou plutôt celui du père, qui est de lancer sa propre ferme (de produits coréens, à destination de la communauté américano-coréenne). Son petit garçon, lui, se voit bouleversé par l’arrivée de sa grand-mère maternelle qu’il ne connaissait pas encore. Chaque membre de la famille doit alors apprendre à trouver sa place et à s’adapter à ces profonds changements…

Ce que l’on oublie de vous dire là, d’emblée, c’est que ce film est inspiré de la vie de son réalisateur, alors qu’il approchait la dizaine d’années – donc vers la fin des années quatre-vingts. Le message vidéo porté par l’équipe, projeté juste avant le film, illustrait d’ailleurs à quel point certains plans étaient quasiment calqués sur d’anciens clichés de famille de Lee Isaac Chung ! En s’attachant principalement au regard de son alter-ego fictif, le petit David (joué par Alan Kim), le réalisateur apporte une belle part de candeur au milieu d’une situation pourtant bien plus complexe qu’elle n’y paraît pour les parents, Jacob (Steven Yeun qui est aussi producteur du film… au côté même d’un certain Brad Pitt, vous connaissez ?) et Monica (Han Ye-ri). Lorsqu’ils se disputent (plutôt régulièrement), leurs deux enfants David et Anne s’éloignent d’eux-mêmes dans leur chambre. Ils se séparent volontairement du même espace, tandis que les parents retournent à leur langue natale pour épargner un tant soit peu leur progéniture. C’est déjà l’une des premières scènes du film : l’innocence de ces deux enfants qui, pour essayer de calmer leurs parents, leur envoient des avions en papier sur lesquels figurent un ordre, « don’t fight! ».

Il y a pourtant de quoi se battre : un père qui agit parfois dans le dos de sa famille pour mener à bien son entreprise, sans préciser ce qu’il fait de son argent, des perspectives d’avenir qui ne se profilent que pour le fils, pour qui on prévoit des études, mais pas pour la fille… L’un des jobs des parents, pour subvenir à leurs besoins, est d’être « sexeur » au sein d’un élevage de poulets. Malgré un intitulé peut-être tendancieux, il s’agit simplement de discerner quels sont les poussins mâles des poussins femelles. Et là, c’est l’inverse qui se produit : on ne mise pas sur les poussins mâles mais sur les poussins femelles. C’est ce que dit le père à son jeune fils, en lui montrant la fumée qui s’échappe du complexe : « on broie les poussins mâles parce qu’ils sont inutiles ». Telle est la question qui tourmente le personnage de Steven Yeun, dont on suit l’avancement de la ferme malgré les difficultés : trouver son utilité, quand on sait que l’on est susceptible de mener sa famille à la ruine. C’est la même question qui anime le reste de la famille : pour Monica, il s’agit de trouver sa place en tant que femme, et de peut-être remettre en cause le bien-être de sa relation. Pour David, c’est apprendre à connaître Soon-ja, la grand-mère qu’il n’a jamais rencontrée et qui, selon lui, « ne ressemble pas à une grand-mère ».

La réussite de Minari tient essentiellement par le charisme indéniable de son casting, le petit Alan Kim en tête, dont la rivalité avec sa grand-mère réserve de nombreux fou-rires. Mais Lee Isaac Chung tire également son épingle du jeu par la manière dont il met en lumière cet écart entre les générations, entre la grand-mère qui découvre totalement les États-Unis, les parents qui sont arrivés dans le pays pour tenter de faire leur vie et leurs enfants qui, eux, sont nés ici. Il joue donc en permanence de cette double culture, fait passer régulièrement ses personnages de l’anglais au coréen et les confronte à des traditions tantôt discutables (le rituel de la punition) ou de nouveaux rituels (la découverte du Mountain Dew par la grand-mère, que les enfants appellent de l’eau de source).

Si la construction du film est relativement balisée, Minari ne s’embourbe jamais pour autant dans un surplus d’émotions, trouvant toujours la juste mesure. Lorsque la famille décide de pratiquer sa foi et de rencontrer les habitants blancs des alentours, il sera question d’ouverture et de respect et non de discrimination, à l’heure où la haine raciale semble se décomplexer de plus en plus à travers les États. La seule petite maladresse viendra des autres enfants qui tentent de comprendre pourquoi David et Anne sont « différents », mais ce dernier point est bien vite oublié. Bref : Minari présente un esprit de bienveillance particulièrement bienvenu, et en guise de film d’ouverture d’un festival qui observe l’évolution de la société américaine, la remet en perspective à travers son histoire, peut-être n’y a-t-il pas mieux pour souhaiter et trouver l’apaisement.

Minari, de Lee Isaac Chung. Avec Steven Yeun, Yeri Han, Noel Kate Cho, Yuh-Jung Youn, Alan Kim et Will Patton. Sortie en salles prochainement via ARP Sélection.

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