Possessor : les pulsions de l’âme cartésienne

Tasya Vos, agente d’une organisation secrète qui est implantée dans le corps de d’autres personnes pour commettre des meurtres commandités par leurs clients. Tasya est la plus douée du business, mais elle commence à montrer des signes d’affect ; elle tue avec un couteau alors qu’on lui a fourni une arme à feu. Elle n’arrive pas à s’extraire du corps hôte – pour cela il lui faut se tirer une balle dans le crâne et ainsi commettre un autre meurtre. Mais surtout, elle semble oublier sa propre vie personnelle, au point qu’elle en vient à répéter ses répliques pour rentrer dans son personnage quand elle rejoint son ex mari et son fils...

Qu’il doit être difficile de vivre dans l’ombre de son paternel… Surtout quand celui-ci s’appelle David Cronenberg. De La Mouche, Crash, Scanners jusqu’au plus récent Maps to the Stars, le père du body horror a exploré les corps et corpulences de nos chairs en long en large et en travers. Voilà six ans qu’il n’a plus sorti de long-métrage et soyons honnêtes, il ne risque pas d’en refaire un de si tôt. En effet David a confié dans une interview il y a quelques années qu’il consacrait tout son temps à s’occuper de sa compagne malade Carolyn… Elle est décédée il y a maintenant trois ans, et le cinéaste ne semble pas avoir la moindre envie de retourner derrière une caméra.

Ce n’est pas le cas de son fils Brandon, qui après un premier long métrage pas ultra convaincant (Antiviral en 2012) revient à l’Etrange festival avec Possessor. Soit une sorte de mélange entre Scanners et Existenz... Difficile de ne pas comparer le fils au père quand Brandon s’enferme dans les mêmes obsessions. De quoi laisser rêveur quant à son enfance et aux dîners de famille chez les Cronenberg.

C’est sans doute cette comparaison difficile qui fait qu’une partie de la critique a été très déçue par ce Possessor. Le rapport du corps à l’âme, la manière dont la vie s’inscrit dans la chair, ce sont des thématiques que le père Cronenberg a déjà étiré dans tous les sens sur sa pellicule durant toute sa carrière. Pour autant, il reste du cinéma évident à observer et ingérer dans le film de Brandon C.

Beaucoup d’affection par ici pour le comédien Christopher Abbot, qu’on a pu voir dans First Man, It Comes at Night ou encore la série The Sinner.

Visuellement, le body horror s’inscrit tout à fait dans le propos du film. Possessor est violent, gore, difficile à regarder par moments ; des gros plans sur un œil qui sort de son orbite, une épingle qui transperce un crâne risquent d’être retirés d’ici à la sortie en salles du film, du fait des inquiétudes du producteur. C’est dommage, car cette proximité à la chair figure tout à fait la perdition de l’héroïne, qui ne s’égare dans le corps de ses hôtes jusqu’à prendre leurs griefs comme les siens.

Pour rendre cela, Brandon Cronenberg va systématiquement décentrer le personnage du cadre, traduisant simplement son décalage existentiel. Mais surtout, lui et son directeur de la photographie manipule la pellicule pour créer des surimpressions de couleurs et apparitions. La richesse visuelle du film explore les limites de la pensée cartésienne. Ce bon vieux René qui posait dans sa métaphysique la binarité entre l’âme et le corps se retrouve malmené au fur et à mesure que Tasya Vos n’arrive plus à différencier le corps de l’hôte et son âme.

L’une des scènes les plus vertigineuses du film est sûrement une de celles qui passe inaperçu pour peu que l’on n’y prête pas l’attention qu’elle mérite. Alors que Tasya se trouve dans le corps d’un homme qui travaille au plus bas niveau d’une entreprise à l’éthique douteuse, elle enfile un casque de réalité virtuelle. A l’intérieur se trouve un bureau de travail virtuel, et un ordinateur virtuel. Sur l’écran, des images de vies privées capturées par les webcam de clients. C’est un moment de crise pour Tasya, qui permet d’installer la distance virtuelle que crée son métier. Ainsi les meurtres et actions affreuses qu’elle commet peuvent être comprises pour l’expression d’un ça freudien débridé, soudain libéré et libre d’étaler sa violence.

Malheureusement, le final déçoit. Une tentative vaine de rendre plus intelligent que ce qu’elle n’est une bonne petite fiction de série B aux thématiques intéressantes et aux visuels réjouissants. Cela ne retire pas le plaisir ressenti lors des deux actes précédents, mais on finit tout de même avec un sale arrière goût dans la bouche. Et une envie, n’en déplaise à Brandon, de revoir les films de son père.

Possessor, un film de Brandon Cronenberg. Diffusé à l’étrange festival 2020 et sans diffuseur connu à ce jour.

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