Swallow : mange, crie, aime

C’est le pitch surprenant de ce premier long-métrage qui nous avait fait lever un sourcil en septembre dernier. Programmé par l’Etrange Festival au Forum des images, le film de Carlo-Mirabella Davis parle d’une jeune femme nouvellement mariée qui, sous la pression de sa vie domestique, se met à ingérer des objets. Pas de jugement, chacun gère sa merde comme il le peut. « Do what you need to cope », comme le disait un meme populaire sur Twitter, à la lointaine époque de la semaine dernière. Le temps passe vite sur Internet.

Des échos se font entendre bien avant la projection à Paris, depuis notre belle Normandie, puisque le film était aussi à Deauville et déjà fort apprécié de nos collègues sur place… Il repartira d’ailleurs avec le Prix Spécial de cette 45ème édition. Il en n’a pas fallu davantage pour transformer notre curiosité en intérêt, et nous voilà dans la salle pour Swallow, un film sur le pica. C’est-à-dire ce trouble alimentaire qui poussent certaines et certains à ingérer des choses qui n’ont pas la moindre dimension nutritive. Non, le Coca ne compte pas ; ce sont plutôt des piles, des billes, de la craie, une figurine de Baby Yoda.

L’histoire de Swallow tourne principalement autour de deux personnages: Hunter – interprétée par Haley Bennett – et la maison qui l’enferme. Superbe maison, il faut le dire. Et entretenue avec soin par la femme au foyer, pour que les apparences soient toujours au top. Il faut dire qu’elle vient de se marier avec un mec très beau et très riche, héritier d’une famille très puissante et très riche, et pour qui Hunter n’a que deux intérêts.

Le premier est décoratif ; elle se doit d’être parfaitement jolie et présentable aux côtés de son mari. En cela, la maison est une extension d’elle-même. Le second est biologique : elle assure l’héritage de la famille en faisant tout ce qu’elle doit pour tomber enceinte. Il s’agit donc de son devoir. Et comme le pense Macron (il a dit un truc minable récemment. Peu importe quand vous lisez cet article cette phrase sera vraie), les devoirs des citoyens sont plus importants que leurs droits.

La photographie du film est particulièrement délicieuse

C’est cette tension entre les attentes de la famille et l’impossible liberté de mouvement et d’existence de Hunter qui vont la pousser à trouver un soulagement en le fait de bouffer des trucs. Quand ça commence par une bille, en tant que spectateur, on est mi-amusé mi-gêné. On voit – notamment grâce à la maîtrise de l’actrice, qui est également productrice sur le film – à quel point ce geste traduit une transgression, l’expression d’une prise de liberté vis à vis de la seule chose qu’elle peut encore contrôler, à savoir l’intérieur de son corps. Si son apparence et celle de la maison doivent être parfaits, au moins personne ne vient se préoccuper pour l’instant de son estomac…

Mais dès que la question de l’enfant arrive dans l’histoire, même l’intérieur de son corps ne lui appartient plus. Et très vite, ce qui paraissait encore quelque peu amusant devient terrifiant ; vous avez déjà vu quelqu’un avaler une punaise ? Parce que moi, honnêtement, depuis septembre, j’entends encore le dégluti lors de la scène. Chapeau bas au monteur son au passage.

Les fans de Mad Men apprécieront cette descente vers l’instabilité mentale, qui traduit l’oppression patriarcale et la violence originant de la réduction de l’espace d’expression des femmes. A bien des égards, la souffrance de Hunter est proche de celle de Betty Draper, la première femme de Don Draper. Pour autant, là où Swallow se rate un peu, c’est sur sa conclusion un peu facile comparée à la qualité de ce qui précède. Pour un premier long-métrage cependant, on pardonne aisément ce léger faux-pas tant la promesse de la carrière à venir est intéressante. Qui plus est, on sait que le réalisateur, Mirabella-Davis, est proche de Glen Hansard et The Swell Season, et on ne peut donc qu’avoir de la sympathie pour son travail.

Swallow, un film de Carlo Mirabella-Davis, avec Haley Bennett, Austin Stowell… En salles le 15 janvier 2020.

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