Arras Film Festival : Des Reines et des Princes

Au moment de refermer le journal de bord de ce vingtième Arras Film Festival et de ressortir de cette bulle d’immersion avant de remonter à la surface vers le monde réel des gens qui font moins de quatre séances par jour au cinéma, il était nécessaire de revenir sur un des fils rouges de cette vingtième édition : la place de choix accordée dans la programmation au cinéma d’animation. Ce n’est peut-être pas Annecy certes, puisque nos chers Lucas et Renaud n’y traînent pas, mais Arras s’est construit une toujours solide grille destinée aux jeunes publics, et il n’est même parfois pas impossible d’y croiser des critiques cinéma qui ne détestent pas les enfants. De tout genre, de tout format, de tout budget et de tout pays, l’animation représente un succédané de ce qui fait l’esprit du festival. Il s’avère même que cette année, elle a pris directement part aux péripéties qu’ont vécu les festivaliers, en témoigne cette séance avortée de La famille Addams de Conrad Vernon et Greg Tiernan (Sausage Party). Imaginez une salle entière remplie d’enfants qui prennent part avec conviction aux happenings de l’équipe à base de concours de cris d’effroi et de quiz à main levée, avec au milieu un adulte non accompagné, nez plongé dans son smartphone, espérant qu’on le prend pas trop pour un weirdo. Puis imaginez expliquer à cette salle entière que le film est annulé car le projecteur est en panne, en plein 11 novembre. Ça la fout mauvaise, surtout quand ça menace le bon déroulement du festival dans son ensemble. Bon, tout s’est arrangé dans la journée, à la suite d’un gymkhana organisationnel que n’aurait pas renié Tex Avery, et tout est rentré dans l’ordre pour les petites têtes blondes qui ont eu droit à leur famille Addams le samedi suivant (contrairement à l’adulte non accompagné qui avait toujours son nez plongé dans son smartphone, mais à une autre séance). Un peu comme dans un Disney. 

Oui ben, pas la peine de me regarder comme ça, j’y suis pour rien moi.

Disney, justement, était au festival pour une projection en avant-première de La reine des neiges 2, l’un des événements ciné de la fin 2019 et chapitre 57 de son plan démoniaque d’annexion du cinéma mondial puis de domination planétaire (prends ça dans ta gueule Martin). Arras semble avoir définitivement entériné son partenariat avec la firme aux grandes oreilles et aux grandes ambitions, la ville ayant déjà accueilli entre autres il y a deux ans une mémorable séance de Coco qui avait transformé le Casino de la ville en gigantesque piscine de larmes. 

L’ami Renaud ayant déjà consacré un beau papier bien long et détaillé de son côté auquel je souscris dans l’ensemble, je ne m’étendrais personnellement pas trop sur le film. Toujours d’un raffinement incontestable d’un point de vue technique, notamment autour de la gestion des particules et des textures de peau, le film devait prendre la suite d’un premier volet à l’efficacité redoutable même si, disons-le, on en a au final tous eu plein le dos de Libérée, Délivrée au fil des ans (qui éclipse au passage une bien meilleure chanson sur la même bande-son, Love Is an Open Door). 

Ce retour de la Reine s’aventure ici sur un terrain plus politique, ce qui dans un dessin animé Disney ne représente quand même pas non plus grand-chose d’extrême, on est pas chez Godard ou Francesco Rosi hein. Efficace, l’intrigue n’en demeure pas moins assez décevante, cumulant les tropes vus et revus dans le blockbuster grand public contemporain et particulière chez Disney : l’accumulation de certains points de passages répétitifs, les esprits de la nature inspirés des quatre éléments se substituant ici aux, disons par hasard total, Pierres d’Infinité d’un Avengers ; la déconstruction de la figure du « grand méchant », le sous-texte écologique inoffensif… Pour le reste, tout dans le film continue de fonctionner. Juste un petit peu moins qu’auparavant. 

Mais l’animation, contrairement au blockbuster hollywoodien dans les années à venir, ce n’est pas que Disney. C’est aussi le court-métrage par exemple, auquel le festival a fait une place cette année à travers une carte blanche à l’animation portugaise. Pour l’occasion, l’Arras Film Festival a fait appel à l’un de ses partenaires, le festival Monstra de Lisbonne, venu présenter une sélection de huit courts-métrages de nouveaux talents du pays du fado, de la Révolution des œillets et des derniers espoirs du socialisme européen. Huit films de quatre à quinze minutes, embrassant aussi bien le stop-motion, la 3D, l’aquarelle ou le crayon-fusain. Comme toujours sur ce type de programmation, il y a des propositions qui parlent plus aux uns que d’autres. On retiendra surtout de notre côté Parce que c’est mon métier de Paulo Monteiro, qui condense en une dizaine de minutes une déclaration d’amour d’un fils à son père disparu à travers le spectre de l’animation, vocation dont ledit père fut à l’origine. Derrière son graphisme en noir et blanc assez simple, la simplicité des métaphores et la sophistication poétique des transitions rendent un beau service à ce texte dans lequel Monteiro adapte lui-même sa propre bande dessinée L’amour infini que j’ai pour toi publié en 2013. Le bel Entre Sombras, de Monica Santos et Alice Guimaraes, expérimentation expressionniste franco-lusitanienne sous forme de film noir en stop-motion, vaut aussi le coup d’œil. 

Si l’on pouvait être amené à parler d’un « cinéma du milieu » de l’animation, nul doute qu’un cinéaste comme Jean-François Laguionie en ferait partie. Figure particulièrement appréciée de l’Arras Film Festival, qui lui avait réservé une masterclass en marge de la présentation de Louise en hiver en 2016, Laguionie s’associe ici à Xavier Picard (Les Moomins sur la Riviera, 2014) pour son nouveau long-métrage, Le Voyage du Prince, suite spirituelle du Château des Singes sorti en 1995. Le prince en question, c’est celui d’un ancien royaume qui s’échoue sur le rivage d’un pays qui lui est inconnu. Recueilli par un couple de chercheurs et leur fils Tom, il découvre une nouvelle civilisation, installée sur la canopée d’une immense forêt où ils vivent en autarcie. Leur cité prospère, luttant contre l’avancée inexorable de la forêt qui reprend ses droits, n’est en fait que la façade d’une société sclérosée, renfermée sur elle-même, et qui n’a jamais éclos de sa chrysalide. L’irruption de ce prince venu d’ailleurs est l’occasion pour les chercheurs, mis au ban de la société, de prouver la validité de leur théorie avant qu’il ne reprenne fatalement un jour la route de chez lui dans une de ces machines volantes sur lesquelles il a travaillé toute sa vie. 

On retrouve dans Le voyage du prince tout le souci de Laguionie de proposer à tous les publics, y compris les plus jeunes, un cinéma d’animation qui n’hésite pas à soulever des problématiques adultes, touchant ici des sujets aussi bien politiques qu’éthiques, le tout sans en dévoyer la langue. Si la force du message de solidarité et l’hymne à la curiosité de Laguionie fonctionne si bien, ce n’est pas parce qu’il s’incarne dans des métaphores poétiques creuses mais dans des inventions formelles voire formalistes puissantes, à l’image de ce tramway faisant le tour de la cité en permanence dans un sens puis dans l’autre. Le résultat n’est peut-être pas toujours à la hauteur des plus grands films de son réalisateur et souffre de quelques petits coups de mou dans sa progression narrative mais son graphisme épuré et sa sophistication simple en font un divertissement aussi mignon que véritablement pédagogique. 

Signe que l’animation aura vraiment servi de fil rouge à ces dix jours d’expériences sur Arras, à peine sorti de ce marathon cinéphilique que le Klaus de Netflix m’attendait gentiment sur ma playlist. Histoire de décompresser. 

La Reine des Neiges 2 de Jennifer Lee et Chris Buck avec les voix de Kristen Bell, Idina Menzel, Jonathan Groff…, en salles le 20 novembre.  

Le Voyage du Prince de de Jean-François Laguionie et Xavier Picard, avec les voix d’Enrico Di Giovanni, Thomas Sagols, Gabriel Le Doze, en salles le 4 décembre. 

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