Les Bronzés font du ski: Une réflexion comique.

Les Bronzés font du ski, cinématraque

Classique de la comédie populaire, sorte de doudou cinéphilique même pour les plus austères des critiques de cinéma, Les Bronzés nous replonge à l’époque, où, l’explosion des flux vidéos était encore de la science-fiction. Si les œuvres de Patrice Leconte n’avaient pas réussi à séduire les journalistes de l’époque, ils furent des succès populaires et cela est bien suffisant. Depuis les films ont été réévalués par ceux-là mêmes qui les ont découverts enfants à la télévision et qui, plus tard, ont remplacé l’ancienne génération de la critique. Peu d’entre nous avons découvert les films de la troupe du Splendide au cinéma. C’est là que le choix de Canal + de sortir un coffret Bluray du plus culte des Bronzés prend son sens. En attendant d’avoir le premier opus (brillamment analysé par le groupe Calmos) qui a permis l’émergence d’une nouvelle génération d’acteurs, concentrons-nous sur la version nouvellement restaurée en 4K du second volet : Les Bronzés font du ski.

LE FILM

On ne va pas vous mentir, nous n’avions pas revu le film depuis des décennies. À l’époque les télévisions puisaient leur énergie dans des tubes cathodiques et Canal + avait la réputation d’être une chaîne de gauche. Voir Les Bronzés font du ski dans les meilleures des conditions c’est, du coup, remarquer ce qu’a perdu aujourd’hui la comédie populaire hexagonale. Avec la puissance financière de la télévision, cette dernière a exigé du cinéma qu’il s’adapte autant sur le fond que sur la forme à la dictature du prime time et du petit écran. En d’autres termes le deal fatal du financement du cinéma par la petite lucarne, fut que la comédie populaire plus adaptée à l’audience, devait chercher à séduire les annonceurs dans le salon plutôt que se projeter sur une toile. Patrice Leconte est à la croisée des chemins. À l’instar des frères Scott en Angleterre et, plus tard, de l’écurie Regency aux USA, Leconte est un fils de pub. On sent dans son montage et dans l’utilisation des couleurs flashy, une habitude à séduire l’œil et le cerveau qui est essentielle pour ensuite vendre un produit. Les Bronzés font du ski, plus encore que le premier opus, réussi à utiliser ces deux aspects. Les séquences en haute montagne sont à cet égard très éloquentes. Le Blu-ray permet de profiter au mieux de la volonté du cinéaste de découper les corps des flancs de montagnes enneigés, grâce aux combinaisons aux tonalités volontairement vives. De la publicité, il n’a pas seulement retenu cette façon de guider l’œil et le cerveau, il en a gardé le goût pour les scènes courtes. Tout comme le premier opus, Les Bronzés font du ski est avant un amas de petites saynètes reliées les unes aux autres et qu’il est tout à fait possible de picorer. C’est évidemment idéal pour qui souhaite se repasser seulement quelques scènes du film ou bien pour fixer des coupures pubs pour un passage à la télévision. Il ne faut pas se voiler la face, Les Bronzés font du ski est à l’origine un désir de producteur qui souhaitait remplir les caisses de sa boite. Ce n’est pas une envie du Splendide d’approfondir le portrait de leurs alter ego fictionnels.

Les Bronzés font du ski, Cinématraque

Cela a été dit à de nombreuses occasions, Michel Blanc avait des envies de voler de ses propres ailes. Il a ainsi, pour montrer son manque d’entrain à construire une suite, refusé de participer à l’écriture du film. Or l’écriture collective faisait l’originalité de la troupe. L’art du Splendide n’est pas à proprement parler politique, mais cette volonté de faire œuvre collective était en phase avec l’effervescence de l’après 68. Tout dans Les Bronzés démontrait que l’art populaire digérait les expérimentations politiques progressistes : La liberté sexuelle, l’émancipation des femmes, la critique du travail et des vacances clés en main par des groupes privés. Sans en avoir l’air, on retrouvait tout ça dans le premier film et l’équipe s’en servait comme base pour construire des moments comiques ou bien pour créer chez le public un rire moqueur. En signant pour un retour des Bronzés, le reste du Splendide a tout de même cherché à imposer sa patte. Si l’on pouvait être attaché à ces gentils losers dans Les Bronzés, Le Splendide charge un peu plus leurs personnages. Ils ne reflètent plus l’après 68, mais plutôt l’entrée dans les années 80 avec tout ce que cette époque a imposé de cynisme et d’individualisme. D’une certaine manière, ce film est bien plus en phase avec son époque que ne pouvait l’être le premier film. En 78, Giscard menait une politique économique libérale, Thatcher était à deux doigts d’arriver au pouvoir, sans parler des expérimentations néolibérales au Chili. Bref, 68 était très loin. C’est là ce qui fait le sel de ce second opus, et qui démontre que le Splendide a tout de même imposé un rapport de force au producteur. Une attitude qui a permis aux Bronzés font du ski de ne pas se laisser happer par son dispositif publicitaire. Si l’origine de la suite respire le cynisme financier, on ne peut que remercier toute la joyeuse bande d’arriver à y placer tout un espace créatif au rire communicatif à travers l’écriture des dialogues et le jeu des acteurs. Ainsi c’est peut-être la dernière fois où l’on se surprend à éprouver une franche sympathie pour Christian Clavier. Il donne corps, à lui seul, au projet du film : être le point pivot entre la comédie absurde de Louis de Funes et le renouveau du Splendide plus aux prises avec le réel. Par la schizophrénie du cinéaste et l’art comique hérité des cafés théâtres du Splendide, Les Bronzés font du ski est la preuve d’une lutte interne de la comédie cinématographique contre le spectacle publicitaire. Les bonus qui évoquent le travail créatif de l’équipe et les luttes entre les désirs artistiques et les exigences financières donnent plus de chair à cette analyse.

LES BONUS

Cette ressortie du film vise à séduire pour les fêtes de fin d’année (traditionnellement la période où ce titre est le plus visionné à la télévision). C’est la raison de l’existence du coffret qui contient : Un Bluray avec le film remastérisé en 4K, un DVD du film avec le nouveau master et un DVD bonus. Tout cela permet d’avoir accès à tout un tas d’informations plus ou moins intéressantes. La pièce maîtresse de ces bonus se trouve sur le Blu-ray. En plus d’une brève présentation du film par Patrice Leconte, on y trouve également une master class. Le cinéaste fait face au public et livre des anecdotes en répondant au charmant Jean-Pierre Lavoignat. On y apprend qu’il souhaitait avec l’équipe du Splendide se concentrer sur les séquences de montagne, laissant les personnages livrés à eux même, dans une sorte d’adaptation en comédie macabre du fait divers qui donnera quelques années plus tard Les Survivants. Le producteur a refusé : à raison, selon le cinéaste. La tendance d’un humour plus sombre, plus en phase avec les années 80, était en tout cas bien là. On découvre également qu’aujourd’hui encore Patrice Leconte est très sévère avec son film et n’a pas peur de révéler qu’il n’aime pas du tout le générique du début. Enfin, il insiste sur la volonté d’utiliser le réel dans un format fictionnel. En effet on apprend qu’une partie des figurants et des acteurs de second plan dans Les Bronzés provenaient de l’équipe de tournage ou des femmes des comédiens, dans Les Bronzés font du ski, le cinéaste est allé chercher les habitants du coin. Si les personnages créés par l’équipe du Splendide se moquent des nouveaux riches, des cadres sup’ en vacances, le cinéaste a cherché à filmer avec une certaine tendresse les habitants du coin (un travailleur saisonnier, un couple d’agriculteurs). Cela en dit beaucoup sur l’humour pratiqué dans Les Bronzés. Plus encore que la featurette de présentation du film, la master class est un morceau de choix qu’on conseille de ne pas laisser de côté.

Les Bronzés font du ski, Cinématraque

La gêne est par contre réelle lorsqu’on insère le DVD bonus où l’on fait face à un affreux documentaire promotionnel, provenant d’une commande pour C8. Si l’objet est une agression visuelle et sonore, il n’est pas dénué d’intérêt de s’arrêter quelques instants dessus. D’une certaine manière, il illustre très bien l’effondrement artistique de la comédie populaire en France du fait de la mainmise de la télévision sur le cinéma. On en a déjà parlé ici et là. Il illustre aussi la façon dont les objectifs idéologiques des décideurs, cherchant à capter le temps de cerveau disponible, ont transformé l’humour. À bien y regarder la très grande partie des intervenants, dont des comédiens de stand up, dans ce documercial proviennent du groupe Canal +. L’humour transgressif de la chaine qui a été longtemps vanté a disparu avec les idées progressistes auxquelles était associé Canal + dans les années 80. Le patron Vincent Bolloré a progressivement imposé son humour, allant jusqu’à rédiger un sketch de ce qu’il restait des Guignols avant qu’ils ne nous quittent définitivement. Cet humour c’est l’humour de C8, c’est l’humour de TPMP : agressif, violent qui évite courageusement de rire des puissants. On a de la peine à voir Christophe Carrière représenter le métier de critique dans ce déchaînement de vide. Mais cela en dit aussi beaucoup sur ce qu’est en train de devenir le métier de critique, du fait de la précarisation de ce métier. Pour espérer vivre convenablement de ce boulot faudra-t-il accepter d’en pervertir ses bases ?

Pourquoi être surpris d’un tel mélange des genres alors que la transformation de la comédie au cinéma en produit télévisuel est aujourd’hui totalement assumée? Les comédiens ne sont plus découverts sur grand écran, mais à la télévision. Rare sont ceux, comme Éric Judor à comprendre que l’art comique ne peut se plier aux exigences publicitaires. Quant à l’équipe du Splendide il ne reste rien, ou si peu. Marie-Anne Chazel assurant, plus que les autres, le service après vente comme elle le peut. Sous ce titre trompeur « 40 ans d’amitiés et de succès », c’est surtout la mise à mort de la comédie populaire comme acte créatif qui est déclarée et la victoire par K.O. de la publicité sur l’art.

Jean-Pierre Thorn nous expliquait qu’il avait toujours eu du mal avec la façon dont le cinéma demandait à son ennemi (la télévision) de le financer. La situation est aujourd’hui encore plus dramatique. Face à la puissance des multinationales américaines de SVOD, le cinéma français songe aujourd’hui à demander aux plateformes qui n’ont aucun intérêt à défendre le grand écran, à aider à le financer. Mais tout comme la télévision a tordu l’art du cinéma pour que sa forme s’adapte aux stratégies publicitaires du prime time, il est tout à fait normal que Netflix derrière une certaine bienveillance vis-à-vis des cinéastes propose sans pression (évidemment) aux créateurs de créer avant tout pour les smartphones et les ordinateurs personnels.

Les Bronzés font du ski, de Patrice Leconte avec Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte, Christian Clavier, Marie-Anne Chazelle, Josiane Balasko, Dominique Lavanant, Bruno Moynot, Maurice Chevit, Roland Giraud. Sortie coffret DVD -Blu-ray le 6 novembre 2019.

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