Anna et l’Apocalypse : Chante avec tes tripes !

C’est en grande pompe et en fanfare que s’ouvre l’édition 2018 de l’Étrange : après le court-métrage italien Bavure, de l’animation gore qui raconte joyeusement la création des humains par Dieu, puis les invasions extraterrestres (relisez votre Troisième Testament), le long métrage en compétition Anna and the Apocalypse a permis de poser l’ambiance au Forum des Images. Adapté d’un court métrage par l’auteur des vidéos de Ryan Gosling refusant de manger ses céréales (mais ce n’est pas lui qui a réalisé le long), voilà venir un petit ovni. Au menu : des lycéens britanniques, Noël, des zombies et de la comédie musicale façon Disney Channel… Vous avez dit étrange ?

Bavure annonce la couleur en citant Cronenberg et le body horror, tout autant que Francis Bacon. Viscéral, kiffant.

Déjà, y a des zombies. Ouf, on est raccord avec la programmation habituelle de l’Étrange, l’hémoglobine coule à foison. Comme dans tout bon film de zombies, la raison de leur existence n’est jamais évoquée. De même, l’invasion permet également de questionner des structures sociétales, de confronter des idéologies : doit-on assurer la survie de tous ou privilégier les plus forts pour ne pas mettre l’espèce humaine en danger ? Pas de dimension économique anticapitaliste en revanche, désolé pour les fans de Romero. Niveau ambiance, on est plutôt du côté de chez Shaun of the Dead, avec des gags similaires (les personnages ne remarquent pas l’invasion tout de suite alors que les zombies sont sous leur nez, etc.) et une atmosphère résolument british à la cool. Rien de très neuf à l’horizon jusque là vous en conviendrez. Heureusement, ce survival-horror n’en est pas un : c’est un musical-horror.

Oui, ce film est une comédie musicale. Cet élément-là a totalement pris la salle de court ; une pensée émue pour mon voisin qui soupirait dans sa barbe à chaque début de chanson. Niveau style, on est à des années-lumières d’un Phantom of the Paradise ou d’un Rocky Horror Picture Show… Là c’est plutôt entre Glee et High School Musical. Comprenez donc très pop avec des guitares électriques façon Jonas Brothers période Disney Channel. Et je dis ça en ayant conscience que cette comparaison parle à environ 1% du lectorat (salut 1%, t’as de beaux yeux tu sais). Le genre permet au film de gagner une énergie folle grâce à ses numéros musicaux et ses chansons pop, pour peu que l’on soit sensible à ce type de narration. Et c’est cette rencontre entre le film de zombie et la comédie musicale qui rend le tout si jouissif !  Cela prend bien vingt-cinq minutes avant que ces deux extrêmes se rencontrent, mais ensuite ils ne se quittent plus jamais, et le résultat est saisissant : qui n’a jamais rêvé de voir le moment de désespoir des héros dos au mur, encerclé par des zombies de toutes parts, en chanson ? Chaque personne ayant répondu moi à cette question n’a pas d’âme, sachez-le.

Anna et moi, face aux gens qui n’aiment pas les comédies musicales.

Malgré tout cela, il faut avouer qu’Anna and the Apocalypse n’est pas si étrange que ça. En tant que film de zombies, il est plutôt convenu. En tant que comédie musicale, il l’est aussi. Et même le mélange des deux n’est pas si étrange en vérité. Quoi ?! Comment ?! Quelle audace ! Le toupet, Cinématraque, le toupet. Expliquons-nous.

Avant tout, Anna and the Apocalypse est un teen movie. Un film sur des ados, pour les ados. Et c’est en cela qu’il est réussi. Il s’appuie sur un genre des plus malléables, des plus riches qui soit en termes de possibilités narratives. Ce film au fond, c’est quoi ? C’est l’histoire d’une ado qui en a marre de sa ville de merde dans son Angleterre de merde (Ouais je vous insulte, et alors ? Vous allez faire quoi, vous barrer de l’Union européenne ?), et qui veut se barrer faire le tour de l’Australie. Autour d’elle : son meilleur ami qui voudrait bien la pécho, un p’tit voyou en love interest, un gros nerd cinéaste, une fille qui ne jure que par le théâtre, et une nana badass anticonformiste lesbienne à la coupe de cheveux façon Draco Malfoy. On est sur les archétypes de base du teen movie, et le genre même justifie la présence des zombies et des numéros musicaux. L’adolescence, c’est la période des excès. Ou chaque acte d’insurrection est une révolution contre la tyrannie des adultes, ou chaque cœur brisé est une fin du monde de poche. Quoi de plus approprié pour parler de la mort et de la jeunesse que de le faire en chanson ? Car ce que je vous ai caché jusqu’ici, c’est pourquoi l’auteur du court-métrage d’origine n’a pas pu réaliser ce film lui-même. Ryan McHenry est malheureusement décédé d’un cancer avant de pouvoir terminer son œuvre. Ce sont ses amis qui ont mené le projet, pour lui. Pourquoi, une comédie musicale déjantée sur la mort ? Pas la peine de vous faire un dessin.

Anna et l’Apocalypse, d’après Ryan McHenry et par John McPhail, avec Ella Hunt. Musique composée par Roddy Hart et Tommy Reilly. Sortie en DVD le 1er octobre.

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