Ne croyez surtout pas que je hurle : ouvrez les guillemets…

C’est d’abord le titre du film qui attire l’attention : bien plus que l’affiche qui, sans avoir connaissance de l’œuvre, reste très hermétique. Ne croyez surtout pas que je hurle : des mots qui accrochent, qui bloquent, qui donnent envie de s’attarder. Ces mots font penser à une pièce de théâtre, mais ici ils servent de titre à un documentaire très particulier.

Unique, très certainement. Personnel, indéniablement. Égocentrique : sûrement, dans tout ce que le terme peut avoir de neutre ; ce n’est pas un mal de vouloir créer une œuvre qui parle de soi. Frank Beauvais est un réalisateur français né en 1970. Ce film parle de lui, d’un moment précis de sa vie et de celle du pays.

Nous sommes en 2016. Installé en un petit village d’Alsace depuis 6 mois pour une relation amoureuse, Frank se retrouve coupé du monde quand cette dernière prend fin. Depuis son ermitage, le réalisateur raconte ses douleurs, ses tracas, sa vie de famille, les attentats, Nuit Debout… Une période misanthrope et — évidemment — difficile, ponctuée par le cinéma. Car durant ces mois d’isolement, Frank consomme les films de façon boulimique, à raison de quatre ou cinq par jours.

Voilà l’originalité première de Ne croyez surtout pas que je hurle : toute la trame est un monologue de Frank Beauvais, dont les seules images sont celles empruntées aux films visionnés durant cette période. En plus de nous confronter à une vie pleine de dépression, d’inquiétude existentielle et de haine du monde entier, nous faisons donc face à un cas extrêmement précieux de cinéma où l’image est réduite à un état de citation.

Aucun des films qui apparaissent par fragments dans le documentaire n’a besoin d’être reconnu, et il vaut d’ailleurs mieux ne pas saisir les extraits pour mieux rester dans le récit : c’est que Frank Beauvais s’en empare totalement. C’est en cela que le film est égocentrique, et non parce que le réalisateur parle de lui : c’est parce qu’il s’empare du cinéma tout entier pour le désincarner, l’utiliser comme support pour commenter son histoire personnelle.

Ainsi le spectateur est renvoyé à sa propre nature de… Spectateur. Cela fait deux fois spectateurs, mais au moins ma phrase est claire, me faites pas chier. Il ou elle regarde l’écran, il ou elle regarde les images pour autre chose qu’elles ne sont. Parfois, elles suggèrent une autre manière d’interpréter les mots, elles sont un trait d’esprit. D’autres fois, elles sont plus crues, plus directes.

Tout cela fait de Ne croyez surtout pas que je hurle une œuvre radicale, qui n’a pas peur de dire au cinéma « je t’aime » sans tomber dans le fanatisme de l’image, bien au contraire. Au fond, c’est un film tout à fait à l’image de Twitter, où l’utilisation constante de Gifs bien sentis correspond tout à fait à cette culture de la citation.

À l’heure où le pays embrasse l’image d’un président défunt immédiatement sanctifié, et où celle d’une ville noircie par l’industrie ne saurait atteindre les plus grands médias, il est d’autant plus important d’avoir un tel cinéma entre les yeux. Un art profane ; bref, un art rebelle.*

Ne croyez surtout pas que je hurle, un film de Frank Beauvais. En salles depuis le 25 septembre 2019.

*Dans l’esprit du film, je précise qu’entre le visionnage du film et la rédaction de cet article, j’ai vu trois films : Bacurau, Dark Crystal, et Ne croyez surtout pas que je hurle. Les images choisies pour cet article en sont tirées, dans un but de citation.

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