Kusama Infinity : le pois de l’art

A y réfléchir, cela semble une évidence pour le distributeur français Eurozoom. Après avoir amené chez nous un documentaire sur le maître vieillissant Hayao Miyazaki, quoi de mieux pour y répondre qu’un portrait d’une autre icône japonaise ? Connue, reconnue et admirée dans le monde entier, l’artiste contemporaine Yayoi Kusama est le sujet de ce nouveau documentaire, Kusama Infinity.

Pourtant, lorsque la réalisatrice américaine Heather Lenz a découvert le travail de cette vieille femme de 90 ans, reconnaissable entre mille grâce à sa perruque rouge et ses robes à pois, c’était encore loin d’être le cas. En effet, la reconnaissance est arrivée très tard dans la carrière de Yayoi Kusama, qui travaille encore aujourd’hui tous les jours ; partageant ses journées entre son studio et l’hôpital où elle réside.

Pour raconter une artiste qui a toujours été dans l’avant-garde sur tous les fronts – que cela soit sur la peinture, la sculpture ou le happening -, Kusama Infinity prend le parti surprenant d’être très formel, voire académique. Un choix qui a pour effet de faire resurgir encore davantage la puissance des créations de l’artiste, mais qui est surtout le résultat d’une démarche de mémoire. Heather Lenz ne s’en cache pas : plutôt que de s’intéresser à qui Kusama est aujourd’hui, elle veut montrer au grand public (et c’est pour cette raison que le film intéressera en premier lieu celles et ceux qui ne sont pas familier de l’oeuvre de Yayoi Kusama) qui elle a été avant d’être enfin installée.

Que découvre-t-on durant ces 76 minutes de condensé de vie ? Une femme qui durant la majorité de ses années aura été exploitée par ses pairs, subissant à la fois les violences du sexisme ordinaire et du racisme ordinaire. Une femme japonaise dans un monde d’art contemporain New Yorkais exclusivement masculin et blanc ? Il n’est pas difficile d’imaginer ce qui a pu arriver. Le documentaire montre comment à de nombreuses reprises, des idées d’installations artistiques ont été lancées par Kusama pour ensuite être copiées par Andy Warhol et sa bande. Qui eux, en récoltait toute la gloire.

On aimerait bien appeler cette oeuvre « Yayoi PétanKusama »

C’est le portrait d’une femme qui, simplement parce qu’elle voulait s’exprimer à travers son art, s’est retrouvée rejetée par toutes les communautés dont elle a fait partie. Par la scène New Yorkaise, du fait de sa différence, et par son pays d’origine, choqué par les happenings scandaleux de Kusama. Des happenings qui, vu de notre position confortable du 21ème siècle, montrent à quel point l’artiste sait poser ses gros ovaires sur la table. Elle a organisé des mariages homosexuels dans New York dans les 60s, a vendu son art à Venise pour un dollar jusqu’à se faire virer de l’exposition, s’est exhibée à de nombreuses reprises…

Kusama elle-même accepte de s’exhiber émotionnellement à travers ce documentaire, puisque l’on y voit l’impact du rejet qu’elle a connu durant toute sa vie sur sa santé mentale. C’est-à-dire des années de dépression terrible, pour une artiste qui avait toujours le sentiment de ne pas être entendue comme il faut. Espérons que Kusama Infinity lui permettra d’être vue toute entière par le public : comme une artiste maudite mais grandiose.

Kusama Infinity, de Heather Lenz. Sortie le 18 septembre.

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