Parasite : Le grand Bong en avant

On avait laissé l’histoire de Bong Joon-Ho et du Festival de Cannes sur une forme de malentendu. Il y a deux ans, le cinéaste sud-coréen s’était retrouvé au cœur de la bataille d’Hernani moderne autour du grand méchant loup Netflix. Il y avait présenté Okja, l’un des deux films présentés en compétition (les deux seuls de l’histoire du festival pour l’instant en ce qui concerne la Compétition officielle) avec The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach distribués par la plateforme de SVOD. Du fait de l’ardeur du débat et parfois d’une grande dose de mauvaise foi, ce joli conte aux accents spielbergiens, film certes mineur dans la filmographie du réalisateur, avait reçu un accueil fortement mitigé lors de sa présentation. Deux ans après, il revient aux fondamentaux avec son septième long-métrage, Parasite.

Il signe ici l’histoire de Ki-Taek et de sa famille, spécialisée dans les combines foireuses et les arnaques miteuses pour continuer à vivre dans leur entresol délabré et minuscule. Un jour, un camarade de classe du jeune homme lui demande de le remplacer pour donner des cours d’anglais à la famille d’une riche famille bourgeoise, les Park. Un boulot très bien payé qui pourrait lui permettre de venir en aide financièrement à sa famille. Le jeune homme y voit cependant là l’occasion de mettre en place un plan d’une plus grande ampleur pour lui, ses parents et sa sœur…

Les princes et les pauvres

Le plus grand plaisir de Parasite réside dans ses dédales narratifs et ses ruptures de ton permanentes, aussi ne gâcherons-nous pas le plaisir du spectateur en en révélant davantage. Toujours est-il qu’au cours de sa première heure, Parasite est une comédie sociale mordante qui a assurément arraché les plus gros fous rires de la part des critiques presse depuis ce début de festival. Jouant à merveille de son concept qu’il creuse et exploite à merveille, Bong Joon-Ho creuse le sillon politique récurrent de son cinéma, qui explose les différences de classe dans la société coréenne (The Host et Snowpiercer en premier lieu) et déconstruit la figure de la domesticité. S’attaquant au passage à l’esprit de corps de la bourgeoisie qui adore fonctionner en cercle clos par systèmes de cooptation, le cinéaste illustre à merveille la perversité des rapports de classe, et les extrémités auxquelles se poussent parfois les classes dominées pour s’élever socialement.

Toutes les dynamiques à l’œuvre dans Parasite relèvent de ce double mouvement de mépris crédule et de revanche envieuse, y compris quand le film bascule brutalement, en une séquence qui prend le spectateur à revers pour mieux lui couper le souffle. Parasite devient alors un conte grinçant et pervers, où les caractères de chacun se révèlent jusqu’à une explosion finale jouant parfaitement sur le dévoilement des masques, derrière l’image de façade idyllique. Sorte de croisement entre de la Palme de l’an dernier Une affaire de famille de Kore-Eda, Locataires de Kim Ki-Duk et d’une pincée de comédie italienne à la Affreux, sales et méchants, Parasite est aussi une réflexion sur les apparences sociales et sur les cicatrices laissées par l’adoption brutale du système capitalisme par la Corée du Sud sous la dictature de Park Chung-Hee qui fit suite au règne autoritaire de Syngman Rhee, dépeint dans une autre des références immédiates de Parasite, La Servante de Kim Ki-Young.

Des nouvelles du ruissellement

Là où le Transperceneige figurait les cloisonnements de classe par les wagons d’un train, Parasite le fait par les étages de ses demeures et sur les cloisons hermétiques qui les séparent. C’est aussi une réflexion passionnante sur la possibilité ou non de l’hybridation, à la fois sociale mais aussi des genres. C’est enfin et surtout un film d’une maîtrise formelle passionnante de la part d’un cinéaste capable d’insuffler une idée de mise en scène à chaque scène pour figurer son propos, pour montrer ses pauvres toujours condamnés à se cacher et à cacher qui ils sont, à renier leur condition dans l’espoir de trouver leur place dans le monde.

Farce cruelle, conte moral, thriller anxiogène, Parasite est un coup de maître protéiforme, qui a fait la quasi unanimité sur la Croisette, à l’exception de certains camarades de Cinématraque connus pour leur mauvais goût notoire (ils ne peuvent pas répondre, on en profite).

On évitera de se lancer à tort et à travers dans des injonctions aussi prématurées que « Oh mon Dieu meilleur Bong Joon-Ho ever » (Memories of Murder et The Host c’est pas n’importe quoi hein), ou même de crier tout de suite à la Palme au vu de cette sélection d’une incroyable qualité. Il n’en demeure pas moins que quand un cinéaste de la trempe de celui-ci nous livre un film aussi brillamment écrit, incarné, pertinent, maître de ses effets et de ses ambitions du tout premier au tout dernier plan, on ne peut que se dire que, malgré Pedro, malgré Céline, malgré Terrence, malgré les autres, y a moyen que ce Parasite trouve le moyen de se greffer dans les délibérations du jury (impossible que des Inarritu ou des Lanthimos restent insensibles à la proposition).

Parasite de Bong Joon-Ho, avec Park Seo-Joon, Song Kang-Ho, Cho Yeo-Jeong…, en Compétition Officielle, sortie en salles le 5 juin

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