Frankie : Ira Dé-Sachs-é

Il y a souvent quelque chose d’un peu émouvant à l’idée de voir un cinéaste dont l’on suit avec intérêt le travail depuis plusieurs années, entrer dans la cour des grands au Festival de Cannes. Les années passent, mais le prestige de la compétition, sorte d’adoubement cinéphilique, offre souvent de belles histoires de cinéastes qui sortent de l’ornière. Cette année, Ira Sachs fait partie de cette catégorie, lui qui jusqu’ici faisait davantage partie du paysage de la Berlinale. Premier film du cinéaste à débarquer sur la Croisette, Frankie marque aussi un tournant dans sa filmographie puisqu’il s’agit de son premier à se délocaliser de son Amérique natale.

Direction le Portugal et plus particulièrement la région de Sintra, au nord-ouest de Lisbonne, nouvel eldorado touristique hype du pays du fado. C’est là que Françoise, alias Frankie, actrice française de renom, invite sa famille et ses proches le temps de vacances qui seront ses dernières. Atteinte d’un cancer qui ne lui laisse que quelques mois à vivre, elle décide de renouer les liens d’une famille distendue aux côtés de son deuxième époux Jimmy (Brendan Gleeson). Il y a là le fils revêche qui s’apprête à quitter la France pour New York (Jérémie Rénier). Il y a la meilleure amie, coiffeuse sur certains de ses tournages (Marisa Tomei), venue avec son compagnon chef opérateur (Greg Kinnear). On voit aussi défiler l’autre fille de Frankie (Vinette Robinson), avec son mari avec lequel elle est en froid (Ariyon Bakare) et sa fille (Sennia Nanua) qui commence à comprendre à quel point leur couple va mal. Et enfin il y a le premier mari (Pascal Greggory), qui assume désormais son homosexualité et qui ne quitte pas d’une semelle un jeune guide de la région (Carloto Cotta).

Un film pas très Portu-gai

Vous l’avez compris, se dessine très vite dans les paysages idylliques du Portugal l’esquisse d’un film choral suivant les péripéties intimes de tout ce petit monde, condensé en à peine 95 minutes. Et très vite, on voit bien que quelque chose cloche, que la musique d’habitude si délicate du cinéma d’Ira Sachs s’est déréglée. Pendant plus d’une heure, son film est un quasi désastre. Victime comme bien d’autres avant lui du syndrome du cinéaste américain venu commettre une croûte pour touristes en Europe, Sachs livre une copie indigne de la douceur et de la justesse de Love is Strange et Brooklyn Village entre autres. Se lançant dans une vaine tentative de déclinaison rohmérienne de ces petites histoires intimes, le réalisateur s’égare complètement dans sa tentative.

La profusion de personnages et de sous-intrigues ne débouche sur rien d’autre qu’un ennui profond, aucun d’entre eux ne recevant le traitement qu’il aurait dû pour nous y intéresser un tant soit peu. Pire, Sachs n’arrive pas à donner chair à cette galerie d’archétypes, réduisant son film à du médiocre théâtre filmé incapable de faire vivre la beauté de ses décors. Tout y est riquiqui, étriqué, mécanique et froid là où les précédents films du cinéaste n’étaient que mélodie et chaleur diffuse. Les atermoiements du cœur de ces grands bourgeois aux problèmes existentiels dont on se fout royalement ne vibrent pas, ne résonnent pas, ne posent aucun enjeu. Il en devient presque embarrassant de voir autant d’acteurs de talent venir ici faire tapisserie dans ce film qui erre sans but, à la recherche de sa propre raison d’être. Entre dialogues faits de lieux communs et de poésie de comptoir et dissonance de jeux impliquée par la difficile cohabitation des langues parlées, Frankie se montre pataud et agaçant là où il devrait nous mettre la larme à l’œil.

Zaza, la fausse bonne idée

Le symbole du ratage artistique de Frankie, c’est son actrice principale. Dans ce véhicule pour sa star, dont on sent tout le plaisir que prend Ira Sachs à la filmer, Isabelle Huppert élève son goût récent pour le cabotinage dans des sphères à la limite du supportable. Le problème, c’est que ça marche toujours, ses facéties sombrant dans l’auto-caricature arrachant souvent des rires horriblement forcés de la part de certains critiques bien contents de pouvoir entretenir le culte souvent marrant mais parfois pénible autour de la Grande Zaza ces dernières années. Voir Huppert et ses énormes sabots (ou escarpins, c’est selon) débouler dans le cinéma à petites touches d’Ira Sachs a quelque chose de presque antinomique, et le résultat à l’écran s’en ressent. Et en dépit de tous les films remarquables qu’elle nous a offerts ces dernières années (particulièrement le génial L’Avenir de Mia Hansen-Love), il serait bon parfois de prendre un peu de recul au moment de juger certaines sorties de route (cette scène du bracelet dans la forêt avec Jérémie Rénier, franchement…).

Il reste quand même des moments d’émotion dans Frankie, des moments où Sachs semble retrouver ses moyens et la mesure de son art. Ils sont tardifs, tous dans la dernière demi-heure, mieux maîtrisée. C’est le moment où le film se rappelle que son héroïne va mourir et qu’il serait quand même temps de se pencher sur ce facteur. Ces moments dessinent quelques jolies complicités autour d’Huppert, qu’il s’agisse de la toujours excellente Marisa Tomei ou de Brendan Gleeson, dont la fragilité fatiguée explose le temps du plus beau plan du film, joué derrière un clavecin. Un peu mécanique dans la construction qui l’amène, le joli plan final, sur le soleil couchant de Sintra en arrière-plan, laisse aussi entrevoir le film que Frankie aurait pu être s’il arrivait réussi à trouver son pouls.

Si Frankie est un film sur les regrets, c’est aussi parce que le spectateur en ressort avec beaucoup. Ce baptême du feu cannois s’avère au final une grande déception, encore plus quand le film laisse entrevoir les réussites qui auraient pu être les siennes. Plombé par une série de fausses bonnes idées, le choix de son actrice principale en tête, le cinéma d’Ira Sachs s’assèche ici, se complaît dans un style qui n’est pas le sien, et qui ne devrait pas l’être. Allez, rentre à la maison Ira, les films de vacances ça n’intéresse jamais grand monde à part ceux qui les filment.

Frankie d’Ira Sachs avec Isabelle Huppert, Brendan Gleeson, Marisa Tomei, Jérémie Rénier…, en Compétition Officielle, sortie en salles le 28 août.

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