Des hommes (dans un monde inhumain) [ACID]

A l’origine de la série de documentaires La Mise à mort du Travail de Jean Robert Viollet (Prix Albert Londres 2010) et lauréate elle-même du prix Albert Londres 2012 pour son documentaire Zambie, à qui profite le cuivre ? réalisé en duo avec Audrey Gallet, Alice Odiot s’est mis en tête de travailler sur la prison des Baumettes à Marseille là où elle vit. De son travail découle aujourd’hui deux documentaires : Jusqu’à ce que la mort nous sépare diffusé sur l’excellente émission infra rouge et aujourd’hui Des Hommes une nouvelle fois réalisé avec Jean Robert Viollet. Autant dire qu’à eux deux on se retrouve devant des figures imposantes du documentaire contemporain. Si Odiot est une autodidacte élevée à l’école du journalisme mythique d’Actuel, Jean Robert Viollet vient de l’image artistique, et a travaillé autant avec Tony Gatlif que Lars Von Trier. Forcément il se voit avant tout comme un cinéaste. Si de son passé de chef op il a gardé le goût du travail en équipe, une fois maître de ses créations de Clearstream (Manipulation) à L’homme qui a mangé la terre diffusée sur Arte fin avril, la veine journalistique de ses projets se fait jour. En parcourant le travail de ces deux-là, on comprend assez vite qu’ils observent le monde d’un regard inquiet et qu’ils ne sont pas dupes du récit médiatique qui accompagne la marche forcée du système néolibéral. Après avoir tenté de comprendre le geste fatal d’une femme battue rencontrée lors de son incarcération aux Baumettes, le duo pose aujourd’hui, avec Des Hommes, leur regard sur la solitude de jeunes au destin brisé pris aux pièges d’une prison en ruine.

D’une certaine manière, le couple de cinéastes, n’a pas beaucoup d’effort à faire pour permettre aux spectateurs de rentrer dans ces lieux – objets de nombreux fantasmes alimentés par les médias et le cinéma et la culture populaire -. Il leur suffit de cadrer des murs, de montrer les Beaumettes comme un monde, dont les murs résistent qu’avec la force des travailleurs (cuisiniers, matons, assistantes sociales, médecins, personnels administratifs, avocats et membre de la direction) pour comprendre que pour beaucoup de captifs la prison est préférable à l’enfer extérieur où pour survivre ils sont obligés de tomber dans le crime. Au premier abord, moins imposant que d’autres travaux de Viollet et Odiot, Des Hommes n’en reste pas moins impressionnant. Il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir à la fois filmer un cadre architectural aussi froid que délabré que réussir à faire ressortir de ces lieux l’incroyable humanité qui s’en dégage. Il en fallut, on l’imagine sans trop de mal, du travail pour approcher les différents personnages qui composent la galerie des prisonniers.

Le film commence dans une salle d’attente, où les nouveaux venus font connaissance avant qu’on les mette en cellule. Le personnage le plus jeune se livre très vite devant ses codétenus et la caméra. Il a 19 ans, et lui son truc c’est le carjacking, le braquage de conducteurs, à la volée. Il en rigole, mais l’on sent bien qu’il s’agit pour lui, le gringalet de se construire l’image d’un dur. On comprendra plus tard, que, comme les autres personnages, c’est un type paumé qui ne verra pas son môme faire ses premiers pas. Il y en a un autre, bardé de tatouage dont on comprend qu’il est là, car comme d’autres il s’est retrouvé au cœur d’un trafic de cocaïne. Une affaire de famille. Le mec a le physique d’un héros de Fast & Furious, mais reste attendri par son père qui pourrait pourtant être la cause de son incarcération. Il est certes content d’avoir pu se débarrasser du paternel, qui loge depuis dans une autre cellule, mais écoute pourtant SA chanson. C’est ce même gaillard qui va permettre aux cinéastes de mettre en scène l’inhumanité de la justice de classe qui a cours dans notre beau pays. Tous les locataires des Baumettes viennent des quartiers populaires, et si le personnel de la prison ne semble pas mieux s’en sortir. Il en est autrement pour les représentants de la justice, à l’exception des avocats. Aux Baumettes, il arrive en effet qu’on juge à distance, procureurs, greffières et magistrats par écran interposé décident du sort des prisonniers. Et l’on verra la procureure enfoncer le jeune homme, dans un violent discours de mépris de classe. On pourrait croire qu’il s’agit d’une exception et que la justice, mon bon monsieur, est au niveau de la réputation de la France Pays des Droits de l’Homme. Mais après six mois de répression du mouvement des gilets jaunes, et les rappels à l’ordre de l’ONU, du Conseil de l’Europe et du Commissariat aux Droits de l’homme, ou le travail de David Dufresne on comprend bien qu’il ne s’agit nullement d’un cas isolé et que la prison est aujourd’hui un des moyens de régler un problème de société : la fin du travail et la captation des richesses par une classe dirigeante politique et financière prête à tout pour échapper à l’effondrement. En attendant, ce sont les prisons qui s’effondrent et l’humanité avec.

Des hommes, d’Alice Odiot et Jean Robert Viollet

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