Angle Mort [ACID]

Au départ il s’agit d’une idée de l’auteur de La Moustache et de Je suis vivant et vous êtes mort, biographie géniale de Philippe K. Dick. C’est en effet Emmanuel Carrère qui a suggéré au cinéaste Pierre Trividic de mettre en image l’histoire d’un type qui parfois disparaissait et qui un jour n’arrive plus à devenir invisible. Après le départ de l’écrivain, Trividic s’est épaulé de Patrick Mario Bernard et ils ont décidé de réaliser Angle Mort. Il s’agit de l’histoire de Dominic Brassan, un type né avec un don, celui de pouvoir disparaître. Il y voit rarement l’utilité de l’utiliser, du coup il préfère éviter le sujet lorsque ces proches, ses amantes, lui font le reproche de le voir se volatiliser pour des raisons obscures. Mais quelque chose se passe : alors qu’il prend conscience qu’il n’est plus si évident de disparaître, il comprend que d’autres cherchent à utiliser ce pouvoir pour satisfaire leurs désirs de changer le monde, de commettre des meurtres ou tout simplement d’assurer le spectacle.

On comprend dans la façon de traiter de l’invisibilité ce qui a pu motiver l’écrivain sur le questionnement des réalités, tout comme on comprend ce qu’il y a d’attirant pour un cinéaste à s’attaquer à l’invisible. Quel beau titre, d’ailleurs, tellement il symbolise la démarche des trois hommes : Angle Mort, cette expression qui désigne la zone inaccessible au champ de vision du conducteur. Ce qui n’est pas visible, n’est pas forcément quelque chose qui n’existe pas. Ce qui n’est pas visible peut être considéré comme une réalité alternative. Et c’est bien ce monde alternatif qui semble effleurer le film de Bernard et Trividic. Montrer ce qui est invisible c’est une des essences du cinéma, c’est aussi un projet difficile à rendre crédible. On sent bien que pour les cinéastes c’est bien ce challenge qui les intéresse plus que le spectacle de l’invisibilité qui aurait pu séduire une vision plus commerciale, comme a pu le proposer Paul Verhoeven. Pour le cinéaste hollandais, l’invisibilité permet à l’homme pervers de passer à l’acte. Ici, ce n’est pas ce qui intéresse vraiment les deux cinéastes, qui ne s’y arrêtent qu’à travers des faits divers.

Angle Mort ACID 2019

Eux s’intéressent à l’idée du choix de l’invisibilité. En quoi cela peut être utile ? Pour le personnage principal : savoir ce que les autres peuvent penser de lui. Pour les cinéastes, l’invisibilité est une façon de se poser des questions sur leur art, le cinéma et surtout la question de la place de la caméra, et du cinéaste, de celui qui filme. L’art du cinéma est de faire croire qu’il n’y a technique ni même d’objet qui filme. Les acteurs font comme s’ils étaient dans le même monde que les spectateurs, où en tout cas dans un monde suffisamment crédible pour que les spectateurs y croient. Les cinéastes cherchent aussi a rendre la caméra invisible, les axes sont toujours savamment réfléchis pour que l’artifice ne se montre pas dans le miroir. C’est d’ailleurs l’une des raisons de ces nombreux plans de miroir dans Angle Mort, montrer la disparition du reflet de l’acteur ainsi que celui de la caméra. D’autres cinéastes vont jusqu’à user des effets numériques pour faire disparaître autant la caméra des reflets, mais également pour finir par s’en passer. L’un des désirs de l’artiste qui met en scène est de disparaître face à son œuvre.

C’est ça qui rend Angle Mort assez passionnant et c’est bien entendu une des belles idées du film, que viendra souligner l’arrivée d’un magicien dont le principal tour de magie n’en est pas un : dans la réalité de la fiction, il est réellement invisible. Cette fiction poétique va également rebondir à travers le personnage aveugle de Golshifteh Farahani. Figurante dans toute une partie du film, dans un coin de l’image, presque invisible, elle va prendre dans la dernière partie du film une plus grande importance. Dominic, progressivement, remarque sa présence sur son chemin, découvre qu’elle est aveugle et surtout qu’elle habite en face de chez lui et… qu’elle le voit.

Angle Mort ACID 2019

En plus d’être une réflexion sur le cinéma, la place de la caméra et du cinéaste face à son œuvre, Angle Mort tente également de rendre visible quelque chose de difficilement montrable : la naissance du sentiment amoureux.

Angle Mort de Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard. Avec Jean-Christophe Folly, Isabelle Carré, Golshifteh Farahani, Comte de Bouderbala, Claudia Tagbo

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