Séries Mania 2019, jours 7 et 8 : Le retour des beaux jours

En revenant sur les précédents chapitre de ce journal de bord, un soupçon de remords me transperce. Certes, dans l’ensemble cette édition a connu ses coups de mou, ses creux, et témoigné de la période étrange que traverse la création sérielle : celle de la tentation d’un trop-plein dans un champ de bataille acharné pour savoir qui s’arrogera la part du lion de l’après-Âge d’Or des séries. Mais soyons heureux : les beaux jours reviennent, tout comme l’heure d’été. Le Festival touche à sa fin, on commence à dire au revoir progressivement aux Parisiens qui rentrent jour après jour chez eux, et on revient comme tout le monde dans le monde réel, ce monde dans lequel Agnès Varda est morte.

Les beaux jours reviennent et avec eux les séries de bonne qualité. Le dernier tiers des compétitions en cours nous a offert quelques-unes des propositions les plus solides et intrigantes du festival. Certes, on n’échappe pas à la série-dossier plombante (Eden, pour Arte, gros pudding idéal pour une soirée Dossiers de l’Écran sur les flux migratoires) ou à l’énième polar français pas désireux de réinventer la poudre (Double Je, comédie policière schizophrène sur une lieutenant de police qui résout des crimes pas très palpitants avec son ami imaginaire, qui offre quand même quelques dialogues qui font sourire). Mais au milieu de cela, il y avait quand même quelques découvertes à se mettre sous la dent.

C’est le cas de ce qui restera sans doute comme la meilleure série de la compétition officielle, Lambs of God, qui nous vient d’Australie et plus précisément de Foxtel Showcase, chaîne câblée premium de la filiale australienne de la FOX. Drama gothique et cruel, cette adaptation d’un roman de Marele Day, met en scène un trio de nonnes formant la confrérie des Soeurs de Saint-Agnès, vivant dans une église désaffectée en 1999. Coupées du monde et vivant de leur potager, de leurs herbes médicinales et d’un troupeau d’agneau qu’elles voient comme les réincarnations de leurs sœurs décédées, les trois femmes de foi reçoivent un jour la visite d’un jeune prêtre, le père Ignace (Sam Reid, aux faux airs y compris vocaux d’Armie Hammer). Venu inspecter les lieux supposés inhabités, il va se retrouver à la merci des trois sœurs, qui n’ont clairement pas envie de débarrasser le plancher.

Si le pitch sent bon le drama empesé sur la quête de foi, le résultat est tout à fait différent, Lambs of God se montre au final totalement différent de ce à quoi on s’attend et bien plus réjouissante. Sorte de relecture de Misery et des Proies (version Siegel ou Coppola, comme il vous plaira), la série est portée par une énergie débridée savoureuse, et par une impertinence dans son traitement qui offre quelques séquences totalement zinzin. Déployée sur seulement quatre épisodes, Lambs of God ne s’embarrasse pas de palabres et rentre directement dans son sujet sans pour autant survoler ses enjeux thématiques. On y parle de l’adaptation de la foi au monde moderne, de la sécularité de l’Église, de la rapacité des structures de pouvoir… sans pour autant se refuser à l’humour et à la légèreté. Le mérite en revient évidemment au plus que solide trio d’actrices se partageant la vedette, formé par Essie Davis (Miss Fisher enquête, The Babadook), Jessica Barden (l’héroïne de The End of the F***ing Road sur Netflix vole le show à l’écran) et la très estimée character actress Ann Dowd, nouvelle coqueluche du petit écran depuis The Handmaid’s Tale et la toujours infiniment regrettée The Leftovers. C’est à la fois burlesque et flippant, le mélange des genres ne plaira pas à tout le monde, mais le résultat secoue tellement le cocotier qu’on a très envie de voir la série traverser le globe jusque chez nous. Au vu du casting, on a envie d’y croire.

La France n’est pas en reste de son côté grâce à la très belle découverte d’Une Île, création d’Arte et du duo Gaia Guasti/Aurélien Molas et réalisée par Julien Trousselier, bien aidé son chef op David Cailley (frère du cinéaste du même nom). Pourtant, tout comme Lambs of God, Une Île fait un peu peur sur le papier : sur une île méditerranéenne non citée (qui ressemble à la Corse, tournée en Corse, où beaucoup de gens parlent avec l’accent corse mais pas explicitement désignée comme la Corse), les pêcheurs se lamentent de cette mer qui n’apporte plus de poisson. Les jeunes, eux, n’attendent que de partir sur le continent comme Chloé (Noée « Ava » Abita) et sa meilleure amie (Alba Gaia Bellugi, la Manon de 3xManon et Manon 20 ans, vue aussi dans Le Bureau des Légendes). Un jour, deux marins disparaissent en mer ; à bord de leur bateau, on retrouve une femme nue, Théa (Laëtitia Casta), aussi séduisante qu’inquiétante…

Relecture bucolique du mythe de la sirène, Une Île séduit par sa richesse visuelle (probablement la série française la plus intéressante formellement de ce Séries Mania) mais aussi par sa qualité d’écriture. On évite pas certains dialogues un peu pontifiants et quelques élans métaphorico-prout-prout (ou symbolico-pouet-pouet, avais-je tweeté en sortie de séance), mais globalement la série propose toutes les qualités qu’on peut attendre d’une série de ce genre : un mystère savamment entretenu qui ne se fait pas au détriment des personnages, un casting (surtout féminin) excellent, et un sens de l’atmosphère bien rôdée. Comme une saga de l’été, mais en bien.

Même les masterclass reprennent du poil (ou des écailles) de la bête en fin de festoche, la preuve avec l’excellente rencontre avec Charlie Brooker et Annabel Jones. Enlevée, drôle et pleine d’anecdotes sur le parcours du duo depuis l’excellente Dead Set jusqu’à l’aventure Black Mirror (on a même eu un mot sur les Wipe, quel délire d’initités!), elle fut clairement un des temps forts de cette édition et une vraie bouffée d’air frais entre deux projections. La preuve en un thread.

On a même eu l’occasion de retrouver de vieilles connaissances en assistant aux quatre premiers épisodes de la saison 3 d’Irresponsable, qui comme celle des Grands sera sa dernière. Inutile de vraiment trop s’attarder dessus tant on y retrouve tout ce qu’on aime dans cette famille de paumés, cette saison s’attachant même à un léger sous-texte politique pas déplaisant. Soucieuse de dire au revoir comme il se doit à tout le monde, Irresponsable ose même ouvrir tout un nouveau pan dans l’histoire de Julien avec une nouvelle venue sur laquelle on n’en dévoilera pas plus. Mais plutôt que de sortir les mouchoirs, attendons avec impatience l’automne pour retrouver Julien, Marie et Jacques, qui nous ont offert sous la plume de Frédéric et Camille Rosset l’une des comédies les plus réjouissantes et accomplies de sa génération. Car quand les beaux jours reviennent, il faut savoir en profiter.

Lambs of God, 4×55′, de Sarah Lambert avec Ann Dowd, Essie Davis, Jessica Barden, diffusion française encore inconnue

Une Île de Gaia Guasti et Aurélien Molas, 6×45′, avec Laëtitia Casta, Noée Abita, Sergi Lopez, diffusion française encore inconnue

Irresponsable saison 3, 10×26′, de Frédéric et Camille Rosset, avec Sébastien Chassagne, Marie Kaufman, Théo Fernandez, diffusion française sur OCS prévue à l’automne

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1 thought on “Séries Mania 2019, jours 7 et 8 : Le retour des beaux jours

  1. regardé plus d’une fois, et chacun comme le premier. créé sur des événements réels – livré de manière experte! regarde d’un seul souffle, perçu comme un livre

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