Ma Vie avec John F Donovan : Cinématraque VS Xavier Dolan épisode 98542

C’est un nouveau départ pour Xavier Dolan que cette tentative de cinéma hollywoodien ; aussi Cinématraque a décidé de se prendre au jeu et de ne pas laisser Dzbiz démonter le film cette fois. A la place, on accueille une nouvelle plume qui viendra ici répondre à la question : est-ce que Cinématraque doit forcément détester le cinéma de Xavier Dolan ?

Après une gestation difficile, Xavier Dolan a finalement accouché de son septième rejeton. Avec un tournage étalé sur presque un an, entre 2016 et 2017, le tout accompagné de financements compliqués et d’une post-production particulièrement laborieuse – poussant son réalisateur à renoncer aux rôles de Jessica Chastain et de Bella Thorne, puis à la présentation de son film à Cannes en 2017 comme en 2018, pour le retravailler -, Ma Vie avec John F. Donovan est bel et bien le fruit d’un combat acharné. Et ce dernier semble ne pas connaître de fin, puisqu’une fois présenté pour la première fois dans sa version finale au TIFF, le film a essuyé critiques acerbes et virulentes de toutes parts; ce qui a compromis sa sortie en Amérique du Nord et en Europe. Le soir de l’avant-première parisienne, Dolan, qui ne mâche jamais ses mots, qualifie à ce titre les Français de « vrai public » et les remercie pour leur soutien indéfectible (ndlr : il n’a donc jamais lu Cinématraque). A l’extérieur de la salle, des fans ont attendu, plusieurs heures durant, le passage de l’équipe sur le tapis rouge.

Nombreux sont celles et ceux qui  avaient pourtant évoqué, bien avant la sortie du film au TIFF en septembre dernier, la possibilité que John F. soit mauvais. « Le premier Dolan raté » faisait couler beaucoup d’encre et donnait presque des envies sadiques de voir s’y confronter l’enfant chéri du cinéma québécois. Après sa fulgurante ascension depuis 2009 et J’ai Tué ma Mère, à 20 ans, ainsi que la pluie de critiques dithyrambiques qui s’est abattue sans discontinuer sur Xavier Dolan depuis, il faut avouer que cela rassurait de se dire que l’animal – imparfait comme nous – allait se planter. On salivait aussi à l’idée d’observer le processus par lequel il se remettrait certainement en selle; une anticipation qui produisait le même effet qu’un savoureux bonus dans le DVD, un film dans le film quoi.

« Fous-toi de ma gueule, c’est IMPOSSIBLE que ça finisse comme ça Game of Thrones ! »

Pendant que nous fantasmions en attendant la sortie du film, les désirs de Dolan, eux, formaient carrément la trame de John F. Impossible de ne pas penser à cette anecdote révélée à l’occasion de l’avant-première du film au TIFF, durant laquelle le réalisateur partageait avec le monde entier sa lettre envoyée à Leonardo DiCaprio, alors qu’il avait 8 ans et commençait lui-même sa carrière d’acteur. Ce sont des lettres qui, à juste titre, forment dans le film la colonne vertébrale de la relation épistolaire entre l’aspirant acteur Rupert Turner (Jacob Tremblay) et son idole John F. Donovan (Kit Harington). Ces similitudes avec la vie du réalisateur rejoignent d’autres motifs récurrents de sa filmographie: un père absent, une mère en robe à fleurs et en conflit avec son fils, une place toute particulière accordée à certaines chansons-phares, le sentiment d’enfermement dans un environnement anxiogène, un bagout impressionnant…

Si l’on sent que ces thématiques tiennent à cœur à Dolan et constituent pour l’instant sa griffe cinématographique, John F. laisse néanmoins l’impression d’un copier-coller bancal. Plus que du cinéma, ce film apparaît comme la nécessaire mise en scène d’un fantasme d’enfance ressassé, à expurger par l’image comme pour crever l’abcès. La projection sur l’écran devient alors celle d’une vie imaginée, rêvée, dans laquelle l’acteur admiré répond à la lettre de son jeune admirateur – le silence de Dolan à ce propos laissant envisager que lui n’a pas obtenu de réponse de DiCaprio. On peut aussi retourner le kaléidoscope et remarquer la proximité rien qu’onomastique entre Dolan et Donovan… Sur Instagram, plusieurs personnes lancent au réalisateur « Tu es notre John F. Donovan ».

Comme souvent, Dolan transforme son acteur pour le rapprocher de lui ; ici c’est tout de même assez flagrant.

Seulement, si cet empilement de réflexions pseudo-autobiographiques, parmi lesquelles la limite entre vie privée et publique pour un artiste, peut toucher, c’est sa mise en forme qui ne parvient pas à enthousiasmer. Dolan précise lors de l’avant-première parisienne qu’il a tenté de faire « le meilleur film possible » et que le résultat lui laisse penser qu’il y soit parvenu – tout en ayant eu à jongler avec les multiples contraintes que l’on sait. Reste à savoir quels sont les critères du meilleur film possible… Une scène comme celle de la réunion mère-fils, au son de la somptueuse reprise de Stand by Me par Florence + The Machine, en rappelle quantité d’autres, plus ou moins savoureuses, durant lesquelles deux personnages courent l’un vers l’autre dans un ralenti ouateux, tandis que s’élève une musique tire-larmes. Parallèlement, il s’agit peut-être des images les plus heureuses qu’on ait vues chez Dolan et ça, ça se remarque.

La scène modelée par Rolling in the Deep d’Adele apparaît comme un autre de ces hommages; ici dirigé vers cette chanteuse pour qui il a réalisé en 2015 le clip de Hello, visionné plus de 2 milliards de fois. Enfin, si le montage effectué par le Québécois multitâche permet d’articuler brillamment le vécu du petit Rupert avec celui de Donovan, la forme du flashback déroulé pour une journaliste autour d’un café sonne vraiment creux. Certes, qui n’a jamais rêvé de vivre une interview extraordinaire avec un interlocuteur avec qui c’était d’abord très, très mal parti? Mais le registre est toujours celui du fantasme et peine à dépasser le statut de l’histoire qu’on s’imagine avant de s’endormir, pour piquer réellement l’intérêt – notamment lors de la fin du récit de Rupert qui, on se l’imagine, se voulait sincèrement déchirante et teintée d’espoir. Somme toute, il s’agit d’un film fait par Dolan pour Dolan, plutôt que pour tout autre public. Ce n’est pas un problème en soi, mais cela permet sûrement de comprendre la réception de ce film – trop? – personnel.

On soulignera tout de même la très belle scène, d’ailleurs reprise sur l’une des affiches officielles, durant laquelle Kit Harington donne un coup de poing dans le mur du salon de sa mère – la caméra le fixant depuis le trou dans la cloison. Célébrons aussi la brillante idée qu’a été la frange de Natalie Portman, car Cinématraque tient à parler des sujets qui comptent. De son côté, la rédaction d’IndieWire taxe John F. de pire film de la carrière de Dolan. Cependant, on ne peut s’empêcher de relativiser ce commentaire quand on considère la filmographie et la réputation que s’est taillée son réalisateur en moins d’une décennie… On attend déjà sa prochaine pirouette.

Ma vie avec John F. Donovan, de Xavier Dolan, avec Jacob Tremblay, Natalie Portman, Kit Harrington et PAS JESSICA CHASTAIN, en salles le 13 mars 2019.

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