Spider-Man New Generation : Excelsior

Lors d’une interview dirigée par Kevin Smith, un des millions de gamins ayant grandi en lisant des comics, Stan Lee expliquait que Spider-Man était le premier héros Marvel à avoir le corps entièrement recouvert par son costume. « Ainsi, quelle que ce soit la couleur de leur peau, les enfants pouvaient s’imaginer être Spider-Man ». De belles paroles, qui en août 2011 sont transformées en acte sous la plume de Brian Michael Bendis et les crayons de Sarah Pichelli: Miles Morales*, jeune Spider-Man aux origines afro-américaines et latino, est né.

 La démarche est on ne peut plus logique ; n’en déplaise à une frange extrémiste des fans de comics qui aime se plaindre bruyamment et violemment sur les Internets, la culture pop américaine a toujours été un moyen d’expression pour favoriser l’inclusion, mettre en avant la diversité et brandir la tolérance comme Captain America brandirait son bouclier. Il y a des cas avant Miles (Luke Cage, Steel), il y en a surtout eu beaucoup après : Miss Marvel est probablement l’exemple le plus marquant, première super héroïne musulmane. Côté DC Comics, comme on en parle trop peu, on se permettra de vous recommander les excellentes aventures des Green Lantern Jessica Cruz et Simon Baz.

Le projet Spider-Man : Into The Spider Verse, car c’est le titre anglophone du film, est né d’un duo que nous commençons à bien connaître : Phil Lord et Christopher Miller. Soit les deux responsables pour Tempête de Boulettes Géantes, le film Lego, et des passages dans les séries comiques préférées d’Internet comme Brooklyn 99. Des types avec des vraies convictions artistiques, du genre qui ont du mal à exister au sein des superproductions hollywoodiennes… J’en veux pour preuve la débâcle totale qu’a pu être le film de Star Wars sur Han Solo, pour lequel ils se sont finalement fait renvoyés par Kathleen Kennedy. Et pourtant, il y a quelques années ces deux gus ont débarqué chez Sony avec l’idée d’un film d’animation Spider-Man qui explorerait des dimensions parallèles, et dans lequel on pourrait voir plusieurs itérations du personnage se rencontrer. Un truc très à la mode dans les comics, puisque tous les Spidey du film existaient avant ce dernier : on a donc droit à Miles Morales, deux Peter Parker, un Spidey film noir (doublé par Nicolas Cage) , un Spider-Cochon, une Anime girl, et bien sûr Spider-Gwen, l’autre invention récente ultra populaire de chez Marvel.

Putain les gars, cette image n’a AUCUN sens.

Cela fait beaucoup de personnages, et croyez-moi si on rajoute les méchants et les personnages secondaires il y en a BEAUCOUP plus ; et pourtant le film réussit à tenir la route sur ses 110 minutes de narration. La raison principale ? Un script en béton armé dans lequel tout tourne autour de Miles Morales, notre nouveau Spider-Man, et son apprentissage des valeurs morales du super-héros. Au programme, de l’abnégation de soi face à des motivations égoïstes, une quête identitaire, énormément de blagues plus ou moins méta, une déclaration d’amour franche au personnage et une morale enfantine, simple et véritable : tout le monde peut être Spider-Man. Cet énième sortie du tisseur de toiles au cinéma est, vous l’aurez déjà compris, une putain de réussite totale.

Pour mener à bien ce projet, Lord et Miller ont monté une équipe et leur a demandé de faire quelque chose que jamais personne n’avait vu avant dans le monde de l’animation. Et c’est exactement ce qu’ils ont fait. Le chef VFX du film, avec qui je vous le rappelle – parce qu’il est toujours bon de se la péter un peu – nous avions passé une soirée à Annecy à parler de sa carrière, a dû inventer une toute nouvelle approche de la technologie 3D pour donner ce style très vieux comic book. La lumière est pensée de manière pointilliste, comme sur les toiles de Roy Lichtenstein, le mouvements et le cadre sont pensés comme si des pages de BD s’animaient devant nos yeux, et le résultat est absolument saisissant. Premièrement parce que c’est bluffant, deuxièmement parce que c’est superbe, et dernièrement et principalement parce que cela sert totalement le propos du film. Après de nombreuses adaptations diverses et variées du personnage au grand écran, c’est la première fois qu’une oeuvre cinématographique semble exprimer en premier lieu un amour profond et inébranlable du personnage et du medium qui l’a vu naître. Et cet amour passe dans un discours métafilmique très riche qui permet à Into The Spider Verse d’intégrer dans son univers les films de Sam Raimi, les origines de Peter Parker, les différents artistes et auteurs qui ont contribué à son développement…  D’ailleurs le chef VFX du film travaillait déjà sur Spider-Man en 2002, quand tout a commencé. Les puristes trouveront donc énormément d’easter eggs disséminés tout au long du film. Mon préféré ? L’apparition de Donald Glover en tenue de Spider-Man dans la télé de l’oncle de Miles ; je vous laisse la décortiquer tout seul, y a plusieurs niveaux.

Dans le reflet, tous les gamins du monde entier se permettent de rêver.

En écrivant ces mots, j’ai encore du mal à croire que Spider-Man : Into The Spider Verse existe réellement. Un film aussi dense, aussi ambitieux (en projection presse quelques semaines à peine avant la sortie, il restait encore une cinquantaine de plans non terminés… Une pensée pour les animateurs qui ont dû sacrifier de nombreuses nuits de sommeil pour boucler leur taff dans les temps), aussi rempli à ras bords, aussi pluriel et joueur avec les genres et les émotions, c’est un miracle en fait. Mais un miracle nécessaire. Pourquoi nécessaire, me direz-vous alors, en lecteur bien poli que vous êtes ?

Nous sommes aux portes de 2019 ; cela fait bientôt deux ans que les USA se déchirent de l’intérieur (et de l’extérieur, grâce aux interventions de la Russie) autour de sa nouvelle présidence raciste, sexiste, LGBTphobe, ultra libérale, j’en passe et des meilleures. Dans un tel contexte, les comics sont une manière encore subversive d’exprimer des opinions modernes et libérales, en s’adressant à celles et ceux qui voient le pouvoir en place leur cracher au visage. A une époque où les puissants du gouvernement s’efforcent à détruire les minorités et les dominés, il n’y a rien de plus logique que de sortir un long métrage sur Miles Morales. Stan Lee, qui commence ses cameos posthumes avec ce film,  a désormais rejoint ses camarades Steve Dikto et Jack Kirby au Walhalla, mais sa vision humaniste et inclusive des comics persiste grâce à un nouveau film de Spider-Man dont le héros n’est pas (pour une fois) Peter Parker. Place aux jeunes, c’est ce que laisse entendre le titre français du film :Spider-Man New Generation. Place à Miles, sa bonbonne de peinture et ses Air Jordan. Pour lutter contre« l’annihilation symbolique », ce phénomène qui fait se dire aux non représentés dans les médias qu’ils n’ont pas de valeur ou de mérite (théorisé en 1976 par George Gerbner**), quoi de mieux que de produire le meilleur film d’animation de l’année, et de dire à tous les gamins américain non blancs : vous avez de la valeur. Vous avez du mérite. Vous existez. Vous aussi, vous avez le droit de rêver à être Spider-Man, ou Spider-Gwen si vous êtes une fille, ou Spider-Cochon si vous êtes furry, ou Nicolas Cage si vous êtes dérangés. Soyez tous Spider-Man.

Spider-Man New Generation, avec Chris Pine, Nicholas Cage, Shameik Moore, Hailee Steinfield, Mahershala Ali, Lily Tomlin, John Mulaney… En salles le 12 décembre 2018

*Les plus fans d’entre vous auront remarqué que Bendis a respecté la règle des allitérations qui était si chère à Stan Lee : Sue Storm, Scott Summers, Reed Richards, Peter Parker… 

** »Representation in the fictional world signifies social existence; absence means symbolic annihilation. » (Gerbner & Gross, 1976, p. 182)

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