Les Veuves : Lutte des casses

Vous, qui lisez ces lignes, vous connaissez les films de casse. Vous avez déjà vu les constitutions d’équipes plus ou moins pros, les montages rapides et dynamiques pour expliquer les stratagèmes, les plans qui se passent sans accroc jusqu’à ce qu’il y ait un accroc, les retournements de situation, les coups de feu, l’adrénaline, et l’arnaque finale.

Vous connaissez sûrement Steve McQueen. Il a joué dans plein de films de casse : Hold-up en 120 secondes, Branle-bas au casino, L’affaire Thomas Crown. Mais ça n’a rien à voir avec ce que je voulais dire.

Vous connaissez aussi peut-être Steve McQueen. Réalisateur des excellents Hunger et Shame et du plus controversé 12 Years a Slave. Étant donné son style plus enclin à l’introspection qu’aux braquages de casino, il était intéressant de voir ce qu’il ferait d’un genre cinématographique aussi riche. Widows est en effet un film de casse. Trois femmes ayant perdu leurs criminels de maris lors d’un braquage qui finit mal décident de prendre leur place pour un dernier coup afin de régler leurs dettes.

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Le film installe intelligemment le contexte du braquage, en nous plongeant dans l’atmosphère violente et angoissante de la 18ème circonscription de Chicago. Une lutte électorale oppose alors les deux visages de Chicago. La bourgeoisie blanche corrompue qui contrôle l’argent et le pouvoir depuis des décennies est représentée par Jack Mulligan (Colin Farrell), soutenu par son raciste de père, interprété par le toujours incroyable Robert Duvall. Face à lui, Jammal Manning (Brian Tyree Henry) l’un des caïds du coin, tirant son argent du grand banditisme et de la délinquance organisée, tente d’incarner la figure de la communauté noire abandonnée et méprisée par l’élite dirigeante.

Dans ce tableau, peu de lumière. Steve Mc Queen réussit à ne pas tomber dans un manichéisme facile en laissant ces personnages se débrouiller comme ils peuvent dans des situations perdues d’avance. C’est l’occasion pour lui de souligner, à son tour, le racisme politique et policier aux Etats-Unis qui emprisonne les noirs dans leur condition tout en prétendant vouloir les sauver. On est alors impatient de voir comment le film va articuler son casse dans cet environnement si particulier.

Malheureusement, c’est là que le film s’effondre. L’idée de mettre un quatuor de femmes au centre de l’intrigue est pourtant bonne et le concept initial, plutôt malin, permet d’espérer une réinterprétation féministe et sociale du film de braquage (dans un autre style qu’Ocean’s Eight). Mais, en plongeant le film dans cette ambiance sombre et sérieuse, tous les travers du film de casse sur lesquels on glisse généralement un léger voile pudique, deviennent embarrassants. Ainsi, rien n’est crédible. Que ce soit dans le rapport entre les personnages, dans la mise en place du plan, dans les différents péripéties et rebondissements, rien ne fonctionne.

C’est à vrai dire, généralement le cas, dans les films de casse. Mais la dynamique du montage, le ballet jouissif organisé par le réalisateur nous empêchent habituellement de nous attarder sur ce qui ne va pas, pour nous embarquer dans l’histoire. Les plus grands films de casse réussissent, avant tout, à braquer le spectateur lui-même avec la vieille astuce des magiciens et des pickpockets : « Regarde ce que je fais avec ma main gauche, pour ne pas voir ce que fait ma main droite » (je tire ça de mon manuel Fais de la magie avec Sylvain Mirouf, offert à Noël 1997). Steve McQueen ne joue ni sur l’humour, ni sur l’action, ni sur le rythme, ni sur le suspense. Restent les rebondissements alambiqués et les facilités de scénario qu’on a tout le temps d’analyser et de trouver ridicules.

C’est donc un sentiment de gâchis qui ressort de Widows. Les actrices (Viola Davis et Cynthia Erivo en tête) donnent envie qu’on s’intéresse à leurs personnages mais leurs dialogues, parfois lourds, souvent mauvais, nous empêchent d’éprouver la moindre empathie pour ce qui leur arrive. L’émancipation des femmes par l’argent est aussi un fil rouge intéressant du film, mais il est desservi par la légèreté du scénario et la lourdeur du ton qui le portent. Widows n’a donc pas réussi à réinventer le film de casse, encore moins à le transcender. Bien au contraire, on dirait que l’intrigue est un boulet au pied du réalisateur qui semblait avoir beaucoup d’autres choses très intéressantes à dire. Tant pis, ce sera pour un prochain film.

Les Veuves, de Steve McQueen. Avec Viola Davis, Michelle Rodriguez, Elizabeth Debicki, Cynthia Erivo, Colin Farrell, Robert Duvall et Liam Neeson . En salles le 28 novembre 2018.

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