Arras 2018 : L’Empereur de Paris, pas si manchot

Pour la troisième année consécutive, Cinématraque s’invite sur la Grand Place d’Arras pour prendre part à l’Arras Film Festival, qui célèbre cette année sa dix-neuvième édition. Exemple-type de ces festivals précieux qui font vivre la cinéphilie de province, L’Arras Film Festival a su nous réserver par le passé quelques belles surprises dans sa line-up d’avant-premières ainsi que des séances de rattrapage bienvenues (les films de festival vivent encore énormément de ce second circuit pré-sortie, et l’on s’en réjouit), tout en conservant son ancrage marqué sur ses deux aspects thématiques principaux : le cinéma d’Europe de l’Est et le cinéma de patrimoine. Le tout avec un certain succès et, ce qui ne gâche rien, dans un décor extrêmement chiadé.

Alors que le festival s’est ouvert ce vendredi soir, nous sommes restés cette année fidèles aux standards de réactivité sur l’actu sur Cinématraque en décidant d’arriver sur place le samedi matin, on a un standing à tenir. Cette deuxième journée de festivités était clairement l’une des plus attendues car articulée autour d’un régional de l’étape comme on dit chez les sportifs : Eugène-François Vidocq, natif de l’Arrageois et dont on ne présente plus la légende. La légende de cet ancien brigand et bagnard devenu sous l’Empire chef de la brigade de sûreté de la Police de Paris, premier officieux détective privé de l’histoire de France et papa de la police judiciaire (voici son histoire TAM TAM), n’a jamais cessé d’inspiré l’imaginaire artistique français.

Harry Baur, George Sanders, Bernard Noël, Claude Brasseur et bien sûr notre Gégé Depardieu national, ils sont nombreux à avoir prêté leurs traits à cet anti-héros avant l’heure, à la vie et aux exploits rocambolesques dont ont longtemps raffolé les feuilletons populaires, qu’ils soient littéraires ou par la suite télévisés. Une vie de clandestinité, un goût prononcé pour la défiance d’une autorité défaillante et une sévère dose de charisme, on comprend bien vite ce qui a attiré Jean-François Richet dans le personnage, et pourquoi il a choisi de le confier à son fidèle Vincent Cassel.

Mesrine/Vidocq, liés par un destin français censément trop grand pour eux

Le reformation du duo fait à coup sûr planer au-dessus de L’empereur de Paris l’ombre du diptyque-biopic sur Jacques Mesrine, qui avait valu aux deux hommes un César chacun ainsi qu’un beau succès public (près de 4 millions d’entrées cumulées). Entre le hors-la-loi et le flic repenti, un lien unit les deux personnages : celui de la clandestinité et de la transgression sociale. Mesrine était un petit caïd de Clichy-la-Garenne et Pigalle qui s’est rêvé en gangster américain dans la grisaille de la France de Pompidou et Giscard, obsédé par sa propre gloire. Vidocq est une victime de son passé qui ne cherche qu’une chose : laver son honneur. Deux hommes liés par un destin français censément trop grand pour eux: l’un qui prospère dans le chaos, l’autre qui essaie d’en émerger.

L’empereur de Paris épouse dans son ensemble ce besoin de souffle. En moins de deux heures, le film embrasse une multitude de péripéties et de rencontres, tourbillonne à travers le Paris des faubourgs et ses figures balzaciennes. Amour, honneur, rédemption, trahison, le film n’esquive aucune émotion du spectre humain et épouse ses ambitions de fresque épique à la française. Cette poignée de misfits et de déclassés se retrouve catapultée parmi les hautes sphères, chez les nantis, parfois au milieu d’autres compagnons d’infortune qui ont eu la chance de mieux tourner, eux. On sent chez Richet cette volonté de voir chez Vidocq la négation ultime de toute hiérarchie sociale.

Vidocq, c’est le petit gars du Nord qui se fait une place dans le grand monde, et qui s’en fout car toutes les distinctions ne lui rendront pas ce qu’il recherche : son honneur d’homme. Entre courtisanes intéressées (la baronne incarnée par Olga Kurylenko) et truands qui continuent à truander du bon côté de la loi pour arranger le bourgeois (le Némésis Maillard, campé avec truculence par le toujours truculent Denis Lavant) et califes qui veulent se faire sultans (l’Alsacien Nathanaël de Wenger, brillamment joué par August Diehl), ce Paris-là apparaît comme le fruit dégénéré des bouleversements sociaux de la Révolution et de la Terreur. Chacun y atterrit de manière quasi indiscernable d’un côté ou de l’autre du camp du légitime.

Au-dessus de ce sous-texte politique discrètement distillé, il y a tout de même un film, et un chouette film par ailleurs. Un vrai film d’aventure populaire, héritier du cinoche de papa boosté avec l’énergie du buddy movie, capable de sortir quelques plans mémorables, notamment lorsque s’agit d’iconiser la silhouette de Vidocq et de son fameux haut-de-forme. Musclé et vaillant, L’empereur de Paris n’en néglige pas ses élans lyriques. D’aucuns trouveront à ce titre le score de Marco Beltrami un poil pompeux, toujours est-il qu’il se fond plutôt bien ici dans la masse d’un film qui ne se refuse jamais à la moindre embardée.

C’est dans la croyance en l’aspect spectaculaire de son sujet et dans la profusion narrative qu’il porte aussi bien en lui que sur le visage de son interprète (empereur de Paris celui de Vincent Cassel, quasi Picasso-esque, aussi rude que doux) que Jean-François Richet fait de son Empereur de Paris un beau film d’époque, de personnages et d’action à la fois. Après le moment d’égarement qu’a été Un moment d’égarement, suivi de l’autre moment d’égarement que fut Blood Father, le réalisateur revient à ce qu’il sait le mieux faire, en espérant qu’il y reste à l’avenir.

L’Empereur de Paris de Jean-François Richet, avec Vincent Cassel, Patrick Chesnais, et Freya Mavor, en salles le 19 décembre.

About The Author

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.