Vous l’attendiez tous, il n’avait pas encore fait l’honneur de venir s’asseoir à table comme chaque année pour venir mettre l’ambiance à table au dîner de famille. Ca y est, il est enfin arrivé : LE FILM DE FESTIVAL VENU D’EUROPE DE L’EST EST ARRIVÉ A CANNES SORTEZ LES BALLONS, LES COTILLONS ET LES FLACONS DE CYANURE.
A vrai dire, on l’avait tous senti venir. Calé en fin fond de festival en première lame du combo de la mort avec Le poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan (qu’on se méprenne pas on adore le Turc mais 3h08 pour le dernier film de la compétition après dix jours de festival, vraiment ?), Ayka du cinéaste kazakh Sergey Dvortsevoy avait tout l’air du drame en langue slave à vous rendre les bouquins de Dostoïevski aussi légers qu’un roman d’Alphonse Allais. On résume vite fait : Ayka est une jeune immigrée sans papiers qui vient accoucher à Moscou avant d’abandonner son bébé, ne pouvant pas se permettre de l’élever. Incapable de se payer un endroit pour se loger et rembourser ses emprunts auprès de charmants mafieux, elle va essayer de se débrouiller pour se sortir de son mauvais pas, régler ses dettes et pourquoi pas récupérer son enfant.
Comme vous pouvez le constater, ça sent déjà la joie de vivre à tous les étages. Autant ne pas tourner autour du pot de chambre plus longtemps : Ayka est la caricature exacte de ce qu’on peut en attendre. Un film désespérant de grisaille, de tristesse, renforcée par une caméra à l’épaule suffocante qui ne quitte jamais son héroïne pour mieux guetter ses moindres rictus de souffrance. Il fait moche, tout le monde fait la gueule, les humains saignent, les animaux saignent. Il n’y a pas l’ombre d’une respiration dans le film de Dvortsevoy, où chaque plan semble être conçu pour enfoncer encore davantage la tête d’Ayka dans le seau avec un dévouement sans faille.
Désespérant de grisaille et de tristesse
Antithèse parfaite du Capharnaüm de Nadine Labaki présenté hier, le film de Dvortsevoy ménage de son côté ses effets de pathos dans une forme de contrition rigoriste quasi protestante. C’est comme si Mungiu avait pris option sciences sociales à la fac, ou comme si les Dardenne période Rosetta avait fait un stage d’été chez les jésuites. Tout cela est d’une morgue, d’un terne et d’un dolorisme épuisant.
Alors oui, on reste parce qu’il faut reconnaître que l’objet est pétri de qualités. La mise en scène de Dvortsevoy est dynamique, empathique avec sa caméra portée, le scénar est béton, et surtout l’interprète d’Ayka, Samal Yeslyamova (déjà au casting de Tulpan, qui avait révélé le cinéaste kazakh à Cannes il y a dix ans avec le prix Un certain regard), s’en sort avec dignité dans un rôle terriblement casse-gueule fait de grimaces, de grognements et de complaintes à répétition. Si la compétition chez les femmes n’avait pas été aussi relevée (notamment en Europe de l’Est avec Johanna Kulig dans le Cold War de Pawlikowski ou Irina Starshenbaum dans le Leto de Kirill Serebrennikov), on aurait été tentés de mettre une pièce pour un prix d’interprétation. Nul doute que le jury aura son nom dans un coin de sa tête au moment de rendre son verdict.
Si vous êtes fans du genre, nul doute que vous pourrez retrouver dans Ayka ce que vous recherchez dans ce cinéma du misery porn : des sujets costauds, de l’émotion contenue et un témoignage de la violence larvée de la société russe. Reste qu’on peut aussi rester totalement de marbre face à ce type de films au cœur fossilisé, étranglant tout espoir, ne chroniquant que la lente descente aux enfers de ses héros vers l’obscurité. Il y a toujours eu un public pour cela, et il y en aura toujours. Sinon, on n’appellerait pas un film de festival…
Ayka de Sergey Dvortsevoy, avec Samal Yeslyamova, date de sortie encore inconnue