Climax : Drogue mineure

Gaspar Noé est peut-être l’un des cinéastes français les plus clivants de sa génération, dont la réputation n’a d’égal que sa propension à jouer la carte de la provoc à grands renforts de nihilisme primaire ou de viols en plan séquence. On le connaît pour ses projets les plus intéressants (Enter the Void) comme pour les pires purges de ces dernières années (Irréversible, Love) et, pour notre plus grand malheur, ce Climax se classe aisément dans la seconde catégorie. On aurait pourtant adoré faire son éloge, dire que Gaspar Noé est un grand cinéaste et que son film est une transe hypnotique qui nous retourne le cœur et l’estomac, mais non. Le bad trip a bien fonctionné, oui, mais pas pour les bonnes raisons car Climax est en fait un long clip raté d’1h30.

Ça commence déjà mal, avec des effets cheap se superposant dans un patchwork sans queue ni tête (générique au début du film, plan zénithal dans la neige, gros cartons de texte…) aboutissant à un plan de télévision où les nombreux comédiens se présentent un à un. Des piles de DVD sont empilées à chaque coin du cadre comme pour nous avertir qu’il s’agit de références (Gaspar Noé a pris la fâcheuse habitude de systématiquement surligner ses références au marqueur, notamment à coups de grands posters accrochés n’importe où et n’importe comment), puis le film démarre réellement. Le cinéaste a déclaré avoir choisi des danseurs et non des comédiens pour incarner ses personnages. Un choix discutable dès lors qu’arrive la première scène de danse collective, qui ressemble davantage à un brouillon improvisé qu’à une chorégraphie. Chaque comédien danse plutôt bien individuellement mais la scène de groupe ne fonctionne que par intermittence, le plan n’est pas spécialement agréable à regarder et dure pourtant une éternité. Soit, le gros handicap de Climax survient lorsque les danseurs commencent à s’exprimer : horreur, ils jouent tous très mal (hormis Sofia Boutella, qui n’est pas si bonne actrice) mais Gaspar Noé va malgré tout nous les infliger pendant un bon quart d’heure. La séquence est peut-être l’une des plus pénibles qu’on ait vue depuis le début de l’année, où les plans sans intérêt s’enchaînent mollement et où les personnages, deux par deux et totalement désincarnés, débitent des dialogues d’une nullité affligeante dont on se demande si c’est une farce.

La suite de Climax n’est qu’un délire sous acide faussement dark qui ne convainc jamais, tentant vainement de reproduire ses références à tout bout de champ. Heureusement, il ne suffit pas de filmer des couloirs rouges et bleus pour être Dario Argento ni de faire vulgairement criser son actrice pour être Andrzej Żuławski. Le problème de Gaspar Noé, dans tous ses films, c’est qu’il agit comme un adolescent vaniteux qui aurait lu deux lignes de Nietzsche sans jamais prendre aucun recul sur ce qu’il montre. Le chaos, chez lui, n’est qu’un prétexte malhonnête et vaguement commercial. Sous couvert de grandes élucubrations pompeuses et simplistes (la vie, la mort…) qui se font passer pour de la poésie, il se permet les pires raccourcis paresseux et autres grossièretés bas du front – dont le point culminant est atteint avec Irréversible. Or, si le film qui a tant fait parler en 2002 avait au moins le mérite de nous mettre mal à l’aise, Climax ne provoque rien de plus qu’un rictus amusé dans ses séquences les plus trash, sinon un ennui poli le reste du temps. La recette de Noé ne fonctionne plus (si tant est qu’elle a fonctionné un jour, d’ailleurs) et on finit par s’agacer qu’une telle fumisterie puisse être montrée à Cannes alors même que tout semble raté ou inachevé. On nous dit qu’il s’agit d’un film sur « l’état de notre jeunesse » mais tout ça n’est que surinterprétation vaseuse, Climax se contentant de montrer des fêtards un peu débiles dans un scénario qui aurait pu être écrit par des lycéens boutonneux. On nous dit que le film transcende les corps mais il n’y a rien que des danses boiteuses filmées en plan large ou des suivis de personnages à distance raisonnable, et rares sont les moments où Noé ose s’en approcher comme s’il reniait ses propres désirs. On retrouve toutes les manies du cinéaste (mouvements de caméra façon grand huit, cartons de texte aussi intelligents que les citations Facebook de ma cousine Tatiana) mais rien ne fera décoller le film au-delà de sa superficialité puérile.

Ce qu’on a vu de pire en termes de provocation de pacotille

On reste perplexes devant les éloges qu’on attribue à Noé depuis les deux projections cannoises de Climax. C’est pourtant ce qu’on a vu de pire en termes de provocation de pacotille, aussi bien dans la forme (des tonnes d’acrobaties techniques pour masquer le néant absolu de ce qu’on nous montre) que dans le fond (on fait jouer aux comédiens une parodie criarde de L’Exorciste), confirmant l’impuissance totale du cinéaste à créer un climat d’angoisse efficace. Et si on aimerait pouvoir se réjouir qu’un tel film puisse être produit en France, on se dit que celui-ci n’aurait en fait jamais dû exister.

Climax, de Gaspar Noé. Avec Sofia Boutella, Adrien Sissoko, Alaia Alsafir, Alexandre Moreau. 1h35. Sortie prévue le 19 septembre 2018.

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