Cycle « Le Monde est Stone » : Tempête à Washington, d’Otto Preminger

Suite à notre dossier sur le Carrefour de l’Animation, nous avons décidé de poursuivre l’aventure avec le Forum des Images et vous parler de leur jolie programmation. Tout au long du mois de janvier et de février, nous vous proposons de petits articles ponctuels pour parler États-Unis à travers le prisme du cinéma. Le cycle « Le Monde est Stone », une sélection de films sur les États-Unis, choisis en partenariat avec Oliver Stone. Le réalisateur sera là pour présenter ses propres films, et on vous en parlera aussi, naturellement.

On continue les parallèles entre présent et passé avec le (très) long Tempête à Washington, du (très) grand Otto Preminger. Sorti en 1962, le film raconte les coulisses du pouvoir américain : lorsque le président décide de nommer un secrétaire d’État, le Sénat tire la tronche. Le choix du président ne fait pas l’unanimité. Une commission est formée dans le but d’examiner les qualités de ce potentiel secrétaire d’État, interprété par Henry Fonda. Au cours des entretiens, il est révélé qu’Henry Fonda (Le personnage a un nom, mais c’est plus simple/cool de l’appeler Henry Fonda) a eu des liens avec des communistes, grand dieu ! Tout cela entraîne les politiques de Washington dans une série de manœuvres en coulisses, plus ou moins légales, et dont les résultats sont plus ou moins catastrophiques…

c’est plutôt costaud pour un film de 1962

Voilà un film plutôt compliqué à suivre, avec énormément de blabla et terriblement factuel ; si vous êtes fana de procédures, de débats, de votes et de coup de téléphones, Tempête à Washington est fait pour vous ! Mais l’un des intérêts majeurs est son approche entièrement fictive : un peu comme pour The West Wing par exemple, on a un cas de narration extrêmement documentée pseudo-réaliste qui s’appuie entièrement sur de la fiction. Le président, le vice-président et tous les sénateurs… On est dans une invention totale, mais assez précise pour qu’on y croit dur comme fer. Et je ne cite pas The West Wing seulement pour montrer ma culture ; je suis également persuadé qu’il y a un lien direct entre les deux. Ils partagent cette vision idéalisée des personnalités politiques, cet héroïsme au service du bien commun et ce goût pour la joute verbale qui font des adversaires politiques des chevaliers, qui s’opposent violemment tout en respectant l’ennemi.

Cette démarche d’approche du réel par la fiction permet d’interroger notre société tout en évitant la démagogie des biopics bien pensants. A bien des égards, on peut d’ailleurs rapprocher ce genre de « réalité parallèle » du cinéma fantastique, qui dans le meilleur des cas choisit lui aussi une approche détournée pour en fait parler de politique. Ce ne sont pas John Carpenter, Joe Dante qui viendront vous dire le contraire. J’aurais pu citer aussi Romero, mais vu qu’il est mort, il ne risque pas de venir vous dire quoi que ce soit.

Quand on dit communisme, on entend fascisme

En cela, Tempête à Washington est déjà intéressant et je vais vous le prouver tout de suite. En 1962, le film a, malgré un succès très modeste dû à sa durée et sa complexité, fait beaucoup de bruit dans le pays de George Washington : dans le film, le sénateur à la tête de la commission pour examiner Henry Fonda est victime de chantages abjects. Impossible de savoir de quoi il s’agit, mais il refuse d’en parler à qui que ce soit, même à sa femme qui s’inquiète plus que personne d’autre mais qui décidément ne comprendrait pas. En vérité, le sénateur a vécu une aventure homosexuelle lors qu’il était en poste à Hawaï, avec un autre soldat… Il ne faut pas que cela se sache, ce serait la fin de sa carrière. Déjà ça, c’est plutôt costaud pour un film de 1962. Mais en plus, c’est la première fois que l’on voit au cinéma un club gay. Nous sommes sept ans avant Yellowstone, c’est fort de café ! Je ne vous cache pas tout le mal qu’a eu Preminger à convaincre la censure de ne pas retirer le passage du film… Toute cette séquence est terriblement bien menée, et fonctionne parce que sa conclusion est très inattendue. Pour l’époque, mais aussi pour nous : en sachant que le film date de 1962, le spectateur ne pense pas forcément à un tel développement narratif.

Difficile de ne pas penser à l’impact qu’une telle révélation aurait encore aujourd’hui. Malgré les avancées sociales contemporaines, les États-Unis (ainsi que le reste du monde) restent un pays foncièrement homophobe, biphobe, transphobe… Que la phobie soit active ou passive. Aujourd’hui encore, il arrive que des sénateurs républicains soient – faute d’un terme plus approprié – démasqués lorsque quelqu’un découvre leurs préférences sexuelles. Il faut rappeler tout de même que les USA ont toujours eu un rapport chelou au sexe, et ce surtout quand il s’agit de politique. Tout récemment par exemple, on a voulu nous choquer en nous apprenant que Trump a entretenu une relation avec une actrice de films X en 2006. Bof, non ? Que cela choque ceux qui l’ont vu comme le candidat des valeurs traditionnelles comme la famille patriarcale, je veux bien. Mais on s’en tamponne quand même pas mal les tétons avec une poêle à frire. C’est nettement moins gênant que ses mensonges constants, sa transphobie active, sa manie d’appeler « Mulan » les femmes d’origine asiatique, son concours de mesurage de bite avec le leader de la Corée du Nord, ses entretiens téléphoniques affreusement insultants avec le président du Mexique, sa défense des néo-nazis…

Le sénateur en charge de la commission avec sa femme, en plein doute existentiel

Sur la question politique du communisme, Tempête à Washington est à la fois très daté et encore ironiquement pertinent. Daté, parce que le film est un pur produit de la Guerre Froide ; la gauche politique y est donc instantanément diabolisée. Quand on dit communisme, on entend fascisme. Dans le film, le personnage d’Henry Fonda est le favori du président pour accéder au statut de Secrétaire d’État. Mais pas de pot, il a participé à des réunions « communistes » dans sa jeunesse, alors qu’il était enseignant à l’Université de Chicago. Tout de suite, le public tout comme les politiques s’inquiètent… Et Henry Fonda dément. Ou plutôt, il ment, en ayant pleine conscience que la situation ne sera jamais comprise avec mesure et nuance, et que seul le mensonge pourra le sauver.

C’est sur ce sujet que le film de Preminger reste le plus actuel. La phobie du socialisme est, sous bien des aspects, constitutive de l’Amérique moderne. En tant qu’ancien étudiant de la susmentionnée Université de Chicago, je peux vous le confirmer : communisme, socialisme… Ce sont des gros mots pour le parti Républicain,et pour une partie non négligeable de la gauche libérale. Il suffit de parler de réforme sociale pour qu’une partie de la populace veuille prendre les armes ! Le fameux Obamacare par exemple a été très compliqué à appliquer non seulement à cause d’une opposition politique féroce, mais également à cause des réactions hostiles de l’Amérique rurale – qui en avait le plus besoin. Ainsi ce qui venait ternir l’image d’Henry Fonda en 1962 fonctionne encore aujourd’hui… Du moins, pour un public américain. Moi, par exemple, j’étais ravi d’apprendre que son personnage avait fricoté avec des communistes, cela faisait de lui un homme de choix pour ce rôle de Secrétaire d’État. Pour un certain public, cet élément de caractérisation aura pu être vu comme une véritable trahison ; pour moi et pour d’autres, on reste dans la figure cinématographique classique de Henry Fonda. Celle qu’il incarne dans Young Lincoln, My Darling Clementine et bien sûr 12 Angry Men : un héros. Un patriote attaché aux valeurs de son pays, et non à ceux et celles qui les incarnent. Enfin, il convient de remarquer qu’un film de 1962 venant questionner les liens d’un homme politique important avec les soviétiques a de quoi faire grincer des dents en 2018, alors que l’agent fédéral Mueller et son équipe d’avocats triés au un volet sont en train de constituer le plus gros dossier de l’histoire du pays quant à l’implication directe de la Russie dans les élections présidentielles de 2016.

Discussion véhémente lors d’une session du Sénat, entre le « méchant » sénateur (en blanc) et le gentil (en noir).

Pour terminer, un mot sur la fin de Tempête à Washington, qui reste probablement la plus grosse surprise scénaristique du tout. Après tout le remue-ménage dans la capitale, et même un suicide lié à l’affaire, le vote du Sénat quant à la sélection du secrétaire d’État finit par n’avoir plus aucune importance. Le président, dont la santé est évoquée maintes et maintes fois au cours du film, meurt pendant le vote. Le vice-président, qui passe son temps à cirer le banc dans le film, se retrouve au dernier moment sur le devant de la scène : après avoir été ignoré ou peu respecté par tous, y compris par son supérieur, le voilà à son tour Président des États-Unis. Il décide alors qu’il choisira lui-même son secrétaire d’État… Réduisant ainsi tout ce qui a pu se passer lors du film à néant. Voilà que le générique arrive, mais le spectateur se retrouve incapable de décider si ces deux heures et vingt minutes n’ont servi à rien… Et si elles n’ont au final servi à rien, est-ce intentionnel ? Que veut dire Preminger sur le fonctionnement des institutions politiques américaines avec cela ? Je vous laisse décider comme des grands ce que vous en pensez.

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