Les Œillades 2017, une édition en demi-teinte

Une semaine, ça passe vite, trop vite. On est arrivé sur la place d’Albi et très vite on a filé au cinéma des Cordeliers pour assister à l’avant-première de Gaspard va au mariage (notre critique ici). Parmi les œuvres présentées mardi, nous n’avons loupé que le film de Gaël Morel. On aura tout le temps de le rattraper à notre retour sur la capitale.

notre 4e édition comme partenaire du Festival

Cette 21e édition de Les Œillades est également notre 4e édition comme partenaire du Festival. C’est toujours un plaisir de se retrouver dans ce petit paradis, où l’on mange encore en terrasse en plein mois de novembre. Festival familial, Les Œillades déploient une belle énergie pour accueillir le public, les équipes de tournages et les critiques qui viennent parfois pour la première fois. À l’instar d’un Gaillac, un festival à échelle humaine peut d’une année sur l’autre avoir une programmation excellente ou décevante. Sans remettre en question le festival en lui même, on ne va pas vous le cacher, ce fut une petite édition. Il est ainsi dommage de voir projeter autant de films déjà sortis en salles, parfois tout récemment ou toujours en exploitation. On peut citer parmi ceux-ci : Petit Paysan, L’Atelier, 120 battements par minutes, Une famille syrienne, Djam, Le Fils de Jean. Il s’agit peut-être de coups de cœur, mais on se dit qu’ils auraient pu être l’occasion d’un ciné-club, plutôt qu’un festival.

Miou-Miou face au machisme de l’institution policière patriarcale (La Femme Flic)

Si cette édition était placée sous le signe du polar, c’est la programmation documentaire qui a réussi à se dégager de la sélection. Le partenariat lié avec Cinécran81 et la Bibliothèque Départemental du Tarn, à l’occasion du mois du documentaire, y est sans doute pour quelque chose. On a ainsi pu voir, ou revoir le très beau Carré 35 d’Éric Caravaca. L’acteur-cinéaste y convoque l’Histoire (la décolonisation et les guerres d’indépendances) et la petite histoire, la sienne : la mort de sa grande sœur longtemps cachée par ses parents. Il offre un miroir au spectateur sur les non-dits familiaux et leur potentiel de destruction. Mais c’est aussi dans le cadre de ce partenariat que fut projeté Makala d’Emmanuel Gras qui s’était fait repérer avec Bovines. La miniaturisation des outils de tournage et la qualité des optiques qu’il est possible d’avoir pour un coût modique permettent aujourd’hui de réaliser de vraies prouesses filmiques. Difficile d’évoquer le documentaire francophone sans présenter une œuvre d’Agnès Varda (le classique et réjouissant Les Glaneurs et la Glaneuse) ou de Raymond Depardon avec 12 jours qui, à Cannes, avait beaucoup plu à Dzibz. Si nous n’avons pas eu le temps de tout voir, on passera par contre sur Percujam, qui a pourtant eu le prix du public. Le réalisateur, touché par ses personnages, n’a sans doute pas réussi à prendre ses distances avec son sujet (la tournée musicale d’un groupe d’autistes) et ne fait qu’empiler des saynètes sans grand intérêt. Quand à À voix haute, s’il est évidemment bien plus maîtrisé, il agace d’un autre côté en faisant les louanges de l’esprit de l’époque, où tout devient matière à monter des « academy » ? Parce que c’est son projet probablement.

Yves Boisset : emmerdeur anarchiste

On vient de fêter l’anniversaire d’Henri Georges Clouzot. On a assisté à plusieurs hommages à la télévision comme à la cinémathèque française ou au Festival Lumière. Alors même que le polar est à l’honneur à Albi, il aurait été intéressant de faire une rétrospective. Le choix de plutôt mettre en avant Yves Boisset fut cependant excellent, vue sa position de paria, d’emmerdeur anarchiste au sein d’une communauté artistique politiquement bien sage. On y reviendra plus tard, mais il serait temps de réhabiliter le bonhomme qui vaut bien plus que son statut de technicien de seconde zone. En cela, Les Œillades se distinguent et c’est tant mieux. On s’interroge pourtant sur la pertinence de programmer seulement deux œuvres du réalisateur. Les polars ce n’est pas ce qui manque dans la filmographie de Boisset, d’Un Condé au très marquant Canicule (avec Lee Marvin, tout de même) en passant par La Femme Flic, c’est un sujet qu’il maîtrise. On était donc heureux de voir la frêle Miou Miou donnant du fil à retordre à sa hiérarchie, mais on a été surpris par la projection d’Allons Z’enfants. Le mystère a été vite résolu, les organisateurs du festival on fait le choix de faire plaisir à Boisset plutôt que de le persuader d’orienter son choix pour qu’il cadre au plus près avec la thématique polar. Il ne serait pas étonnant que la santé chancelante du réalisateur ait joué dans cette petite incartade. Aux spectateurs de comprendre qu’on à affaire, aux Œillades, à des cinéphiles au grand cœur. Par ailleurs, si Allons Z’enfants n’est pas un polar, on donne raison à Boisset : c’est sans doute un de ses plus beaux films. Il s’inscrit dans la veine de La Grande Illusion, mais surtout des Croix de Fer de Peckinpah. Boisset est foncièrement antimilitariste, mais aussi anticlérical et ça, ça fait vraiment plaisir à voir. Rien que pour la projection de ces deux films et pour la présence sur place d’Yves Boisset (diminué par son AVC), ce fut une joie de venir à Albi.

Léa Drucker poursuivie par un porc (Jusqu’à la garde)

Les Œillades sont aussi l’occasion de découvrir des avant-premières de films qui ne sortiront qu’en 2018. On a déjà évoqué Gaspard va au mariage, mais c’est le long métrage de Xavier Legrand, Jusqu’à la garde qui nous a vraiment bluffés. Il devrait être un des événements majeurs du cinéma français en 2018 (on vous en parle bientôt). Il faut distinguer, et ce n’est pas rien de le souligner aujourd’hui, le choix des organisateurs de mettre à l’honneur des films qui donnent un rôle central à la place des femmes. Outre le premier long métrage de Xavier Legrand, on a eu le droit à la projection du nouveau Emmanuel Finkiel, La Douleur. Adapter la poésie littéraire de la langue de Duras est souvent casse-gueule… Et s’il n’y réussit pas toujours, on trouve dans ce film des moments de grâce qui puisent leur origine dans l’étonnante interprétation de Mélanie Thierry qui arrive à nous convaincre, parfois, qu’elle EST l’écrivaine. Dans la dernière demi-heure, l’actrice ainsi que le réalisateur aidé par l’excellent chef opérateur,  Alexis Kavyrchine, réussissent à proposer de vraies expériences de cinéma. Il est rare de voir transposer à l’écran, avec une telle justesse, l’ambiguïté des sentiments amoureux. Après ces deux gros morceaux, la tension retombe. Elsa Duringer est venue présenter un premier long métrage plein de fraicheur traduisant à merveille l’énergie de la jeunesse montpelliéraine, mais Luna est assez mineur si on le compare au renouveau du cinéma français. Reste son actrice Lætitia Clément, qui devrait prochainement faire parler d’elle. Le baroudeur communiste, Robert Guédiguian revient à la charge avec un petit film, La Villa, très révélateur de l’impasse de cette gauche qui vit dans le passé, et qui s’est embourgeoisée. Un film qui sent le formol avec une Anaïs Demoustier campant une groupie de Macron à son aise entourée de sexagénaires. Mais il réussit tout de même à surprendre à travers une scène sur fond de Bob Dylan qu’on vous laisse découvrir en salle. On évoquera vite fait sur La Fête est finie qui, à l’instar du dernier Orelsan, repose sur une blessure personnelle, mais qui ne fait que rabâcher des clichés. Dommage.

On a terminé le festival avec la réalisatrice Raja Amari (Satin rouge, Printemps tunisien) qui, dans Corps étranger, revient sur la trajectoire d’une jeune Tunisienne qui fuit son pays et se retrouve en France de manière illégale. Si l’on a trouvé l’aspect sociopolitique un brin forcé (les acteurs n’arrivent pas, d’ailleurs, à s’approprier les dialogues), reste qu’elle réussit à mettre très finement en scène les ambiguïtés des sentiments, et les jalousies d’un trio amoureux.

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