Loveless, du beau cinéma sans aucun amour

A Cannes, il y a une règle qui, si tu ne la connais pas, peut quelque peu désappointer. C’est celle dite du Scrabble.

Elle est très simple : le réalisateur dont le nom de famille fait le plus de points au plus célèbre des jeux de société aura le droit de faire le film le plus chiant de la sélection. Il faut savoir que c’est un secret très bien gardé, que les réalisateurs se transmettent au creux de l’oreille. Et d’aucuns s’affublent de patronymes complètement zinzins juste pour avoir le droit de filmer la jungle en plan fixe. Et le public, ce snobinard, ne s’en rend même pas compte et se focalise sur l’apprentissage de la prononciation dudit nom. Ca fait beaucoup rire Apichatpong Weerasethakul, d’ailleurs.

Cette année, Andrei Zvyagintsev a tué le game, avec ses 36 points, coiffant sur le poteau Michel Hazanavicius et Naomi Kawase (simple mais efficace). Aussi, il se permet de démarrer Loveless par 5 minutes de plans-séquences de paysages neigeux, parce que ça ne fait pas de mal.

Papa ou Maman, mais à la russe

Loveless (Sans Amour, titre français) dépeint l’histoire d’un couple russe Saint-Pétersbourgeois en phase de divorce. Avec un gamin, qui n’en peut plus d’entendre ses parents se crier dessus, ceux-ci ayant chacun de leur côté recommencé une nouvelle vie, et rechignant à l’idée de s’occuper du môme. Bref, Loveless débute comme Papa ou Maman. Mais en russe. Donc les gens y sont désespérément tristes, le cadre est désespérément sous-exposé, et les plans sont désespérément séquence. On n’est pas là pour voir de chouettes choses : Andrei Zvyagintsev, c’est quand-même 36 points.

Promis à divers prix de mise en scène dans divers festival, le film, faut-il bien l’avouer, est un formidable exercice de style. Il se décompose en deux parties : d’abord la destruction du couple, et ensuite la recherche de l’enfant perdu. Le cadre enferme les personnages dans le premier acte, les place derrière des vitres, des portes, des fenêtres, en longs plans fixes, avant de les forcer à en sortir, à s’exposer un peu à une lumière autre que celle de leur téléphone portable. Lumière splendide, composition de plans extrêmement riche : il faudrait être teubé pour penser que le sujet du réalisateur russe serait une disparition d’enfant.

Parce que son sujet, c’est juste son désamour profond des gens, de la vie. Personne n’est épargné dans Loveless : tout le monde est lâche, égoïste, méchant. Et le seul personnage à sauver, celui de l’enfant qui souffre, ben c’est celui que Zvyagintsev sacrifie après 15 minutes (dont 5 de plans sous la neige, vous suivez ?).

Ladite disparition, elle est comprise par le spectateur une bonne demi-heure avant que les parents ne s’en rendent compte. Une bonne heure avant qu’ils ne s’en inquiètent, vaquant à leurs engueulades et à leurs deuxièmes vies respectives. C’est certainement la jolie trouvaille scénaristique du film : Andrei Zvyagintsev susurre à notre oreille les évidences que ses protagonistes ne voient pas, enfermés dans le cadre par sa mise en scène étouffante.

Dans son dernier tiers, le film se met à tourner à vide, et l’on commence à ne plus ressentir la mise en scène mais à la subir. Les plans deviennent trop longs, les cadres trop léchés : l’on comprend que fort de ses 36 points au Scrabble, le réalisateur veut nous montrer qu’il est un putain de dieu de la mise en scène, et que Nicolas Winding Refn, c’est pour les hipsters. Alors pointent les premiers bâillements cannois, puis les premières petites lucioles, ces micro-lumières de téléphone portable qui apparaissent dans la salle.

Le générique arrive, applaudissements polis en projo presse : le festival 2017 est lancé. Sur des bases certes très pros, mais franchement pas très agréables. Vivement que l’on reçoive un peu d’amour !

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