Joli premier film d’une jeune productrice qui s’était, jusque là, illustrée comme cinéaste dans le documentaire. Des œuvres pour le moins expérimentales dont New York Export Opus Jazz, en collaboration avec le New York City Ballet. Il n’est donc pas étonnant qu’en se lançant dans sa première œuvre de fiction, Anna Rose Holmer ai concentré le coeur du récit autour de la danse. Mais loin d’elle l’idée de s’adresser au public restreint de ses documentaires, au contraire, sans doute inspirée par les origines populaires du jazz qu’elle affectionne, la cinéaste fixe sa caméra dans les quartiers populaires de la Grande Pomme.
Royalty Hightover est un atout majeur
C’est ici, en effet qu’émerge depuis quelques années une danse dont les bases se structurent autour de la culture hip-hop : le drill. Danse urbaine s’inspirant des transes tribales qu’elle pousse à son paroxysme, le drill doit autant à une pratique sportive qu’artistique. C’est d’ailleurs ce qui va attirer Toni, personnage principal de The Fits, au départ concentré sur une autre pratique : la boxe. The Fits est tout entier orienté sur la question du corps et de sa transformation. Royalty Hightover est, d’ailleurs, un atout majeur du film. En ne cherchant pas un seul instant à inscrire son corp dans un genre particulier, sa jeunesse et les traits combatifs de son personnage brouillent les cartes et en fait un parfait être androgyne, en adéquation avec le nom de son personnage. Ce corps particulier va progressivement se confronter au groupe de danseuses de drill qui s’entraine dans le même gymnase. Ce groupe, filmé au départ comme un corps massif, une masse d’êtres humains va s’ouvrir à Toni et faire émerger du même coup certaines individualités. Au fur et à mesure que Toni s’insinue dans la masse, des événements inexpliqués vont surgir : sans que l’on sache vraiment pourquoi, une à une les jeunes filles sont victimes de syncopes obligeant à les hospitaliser.
Toni va révéler toute sa puissance
Alors que l’on faisait face jusqu’ici à une chronique sociale, certes surcadrée, The Fits plonge doucement dans la rêverie, l’étrange et le fantastique. La cinéaste multiplie alors les fausses pistes jusqu’à la révélation finale. En affirmant son individualité face à son frère, ses partenaires de boxe et à ses camarades de danse, Toni va révéler toute sa puissance qui prendra une dimension quasi-divine dans les derniers plans du film. Si The Fits par sa concision (à peine plus d’une heure) révèle la maturité d’une jeune productrice qui se lance dans la réalisation d’une fiction, le film conserve pourtant les scories habituelles d’un premier film: ouvrir trop de pistes ou d’univers des possibles, angoissée à l’idée d’être enfermée dans un genre. Une certaine faiblesse qui n’empêche pas l’ensemble d’être passionnant. On reste, ainsi, fasciné par l’habilité de la mise en scène dont fait preuve la réalisatrice. Tout le dispositif nous pousse à voir dans ses transes violentes où les gamines s’oublient, comme le résultat conjugué de la rudesse stylistique du Drill et le résultat d’un phénomène d’appartenance au groupe.
la cinéaste convoque symboliquement la figure du zombie
The Fits se révèle être une réflexion sur l’être et la communauté, comment se construire en tant qu’individu dans un corps social bien défini, qu’il s’agisse du genre sexuel ou de la classe sociale et par ce qui fait de nous des individus uniques. (Des questionnements qui agitent, d’ailleurs, de plus en plus, la fiction américaine de Sense8 à The OA en passant même par le sur-côté Stranger Things.) Pas étonnant, du coup, que la cinéaste convoque symboliquement la figure du zombie en en faisant un fil conducteur de son récit: ceci dans un premier temps en faisant de The Fits une étude quasi anthropologique des transes collectives – en partie à la base de la mythologie des morts vivants -, puis grâce au travail sur les cadres, ainsi que la façon dont Anna Rose Holmer sculpte la lumière et le corps de ses danseuses. S’il y a une figure cinématographique, depuis George Romero, qui remet en cause notre rapport au corps face à la masse, c’est bien celle du Zombie.
The Fits, Anna Rose Holmer avec Royalty Hightover, Alexis Neblett, Makyla Burnam. 1h12. Sortie le 11 janvier 2017