Rencontre avec le créateur de Louise en Hiver

Jean-François Laguionie est considéré par les spécialistes du genre comme l’un des plus grands noms de l’animation mondiale. Ce garçon calme de 77 ans nous a reçus dans un petit hôtel près de Montparnasse : normal, c’est un breton d’adoption. S’il a obtenu la Palme d’Or du court-métrage en 1978, Laguionie est surtout le digne héritier de Paul Grimault (Le Roi et l’Oiseau) chez qui il a fait ses premières armes. On se souvient de son tour de force, Le Tableau et on devrait se souvenir longtemps de Louise en Hiver, mais on voulait revenir sur l’ensemble de sa carrière, histoire de nous éclairer sur son univers.

Vous êtes né au début de la Seconde guerre mondiale. Avez-vous des souvenirs précis de cette période ? Cette période a-t-elle une influence sur vos films ?

De cette période, je n’ai aucun souvenir, mais je pense que j’ai été marqué par la guerre sans m’en rendre compte. C’est à dire que quand on est bébé et que votre mère vous prend sous le bras et se met à traverser la France, il vous en reste forcément quelque chose. Mon premier souvenir, c’était en revenant à Paris à la fin de la guerre. Il y a eu des bombardements et ma mère m’a pris dans les bras pour me faire descendre au fond de la station des Abbesses. C’est je crois mon premier souvenir.

Il y a eu des bombardements et ma mère m’a pris dans les bras (Photo: Le Tableau)

Vous êtes né à Besançon, et vous avez déménagé en Bretagne seulement en 2005. D’où vous vient cette douce obsession pour la mer et l’eau en général ?

C’est difficile à dire. Je suis né à Besançon mais je n’y suis pas resté, immédiatement il a fallu partir. Et je n’y suis pas retourné. Mais je suis plutôt quelqu’un de la banlieue parisienne où j’ai passé toute mon enfance, et puis ma jeunesse. Les bords de Marne, c’est un paysage que j’essaie de retrouver en ce moment en écrivant un projet de film. Et puis les vacances au bord de la mer avec mes parents, de tout temps, de façon permanente, non seulement les grandes vacances mais à Noël ou à Pâques, c’était obligatoire. La petite station balnéaire que l’on voit dans Louise en Hiver, c’est vraiment la petite station de Saint-Aubin sur Mer en Normandie, que je connaissais bien. Et puis alors les falaises, c’est l’endroit où habitait ma grand-mère et où ma mère m’a déposé un jour je ne sais plus vraiment pourquoi quand j’avais 7 ans. Ce sont des paysages vraiment très étonnants, le pays de Caux. Avec des vallons, ces petites vallées qui s’enfoncent dans la falaise, c’est le seul endroit où les arbres peuvent pousser parce qu’ils sont à l’abri du vent. C’est un pays de vent, avec une mer assez dure qui vient frapper les falaises, le son m’a marqué souvent. Parce qu’en descendant par la petite vallée, par le petit bois, le bois de cidre, j’entendais la mer qui éprouvait les galets, le son des galets qui se répercute sur les parois des falaises et repartent. Ce sont des souvenirs d’enfance qui vous marquent toujours. Mais jusqu’à présent à part dans mon premier court-métrage, La demoiselle et le violoncelliste et mon dernier film, Louise en Hiver, je n’y attachais pas beaucoup d’importance.

Paul m’a montré comment charger la pellicule

Comment avez-vous rencontrez Paul Grimault ?

J’ai connu en effet Paul Grimault par un ami, Jacques Colombat, avec qui j’étais à l’école aux Arts appliqués. Il avait déjà fait un court-métrage chez lui : Marcel, ta mère t’appelle, un film qui m’a vraiment ébloui. Et puis il m’a fait rencontrer ce grand bonhomme de l’animation. Il était dans une période extrêmement disponible, car il essayait de remonter La Bergère et le ramoneur, qui avait été une sorte de drame dans sa vie puisque le producteur lui a retiré le film avant qu’il puisse l’achever (le film fut amputé suite à des désaccords artistiques et des problèmes financiers en 1953, mais il reçut de nombreux prix et l’admiration des Studios Ghibli). En 1980 après des années de travail, Paul Grimault réussit à sortir l’œuvre qu’il avait en tête (Le roi et l’Oiseau, NDLR). Je suis resté 7, 8 ans avec lui et j’ai travaillé en totale liberté. Il était extrêmement disponible. Quand je lui ai montré mes petits dessins de La demoiselle et le violoncelliste, mes petites histoires, il m’a dit « ça m’a l’air très bien tout ça ! Il y a une caméra 35 mm dans un coin qui ne sert à rien. ». Je n’avais jamais vu ça dans ma vie. Paul m’a montré comment charger la pellicule. Et il m’a dit « bah écoute, vas-y! ». Il n’y avait pas d’école pour apprendre l’animation à cette époque. « Fais un film et tu verras un petit peu les problèmes que cela représente ». Et c’est ce qu’il s’est passé. Je n’y avais pas pensé avant, je pensais plutôt faire du décor de théâtre. L’art dramatique me fascinait beaucoup plus que l’animation. Je suivais des cours de théâtre parce que la scène me fascinait, mais je me sentais incapable d’être comédien.

En 1980 après des années de travail, Paul Grimault réussit à sortir l’œuvre qu’il avait en tête : Le roi et l’Oiseau.

Vos premiers courts métrages sont fabriqués à l’aide de papier découpé. Vous vous êtes ensuite essayé à la gouache, à l’huile ou à la 3D. Pourquoi avoir débuté dans l’animation avec cette technique? Qu’est ce qui vous guide dans vos choix techniques ?

J’ai commencé par ça parce que Jacques l’avait utilisée pour son film. Je n’ai pas voulu me casser la tête. Le dessin animé tel que Paul Grimault le pratiquait me semblait vraiment inabordable. Découper un mouvement en vingt-quatre dessins me paraissait très difficile. Alors qu’avec une marionnette – parce qu’un personnage articulé en papier découpé, c’est une sorte de marionnette – ça me parlait davantage car c’est de l’animation en direct. C’est vraiment très intuitif. J’avais fait un petit peu de marionnettes à l’école de théâtre de la rue Blanche donc ça me semblait plus facile. Il n’y avait pas de challenge pour moi. Le fait d’aborder le cinéma avec une technique simple m’a conforté dans l’idée que pour moi le plus important était de raconter des histoires en images. C’est toujours ce qui m’a guidé et depuis ça n’a pas changé.

il faut surtout se laisser guider par les petits accidents

Quand j’ai commencé Louise en Hiver, c’était de la manière la plus simple qui soit : j’avais une histoire. Je me suis mis devant mes feuilles de papier et j’ai commencé à dessiner un calendrier avec la date : « 1er novembre, marée 214, beau temps » et puis voilà. Qu’est-ce qu’il se passe au mois de novembre en plein soleil, et qu’on est tout seul? Un dessin en appelle un autre et il faut surtout se laisser guider par les petits accidents que les dessins vous proposent. C’est une écriture au fil unique. Il y a déjà tout, même la musique que j’écoute en dessinant. Le texte, un texte en journal de bord comme je l’ai pratiqué dans plusieurs films dès La traversée de l’Atlantique à la rame (Palme d’Or du Court métrage en 1978 NDLR), c’est un principe qui me convient bien parce que cela permet de doser le récit dans le temps jour après jour, de donner la sensation du temps qui passe. La technique ne me semble pas devoir être un barrage a priori immédiat quand on commence à penser au film. Quand j’écris une histoire, je ne pense pas du tout à qui elle s’adresse et avec quelle technique je vais l’aborder. Je n’aimais pas trop la 3D et puis avec Le Tableau j’ai trouvé que c’était un outil formidable, et encore plus avec Louise en Hiver. C’est la production qui m’a fait changer d’avis. J’ai bougonné dans ma barbe au début, j’ai rouspété. Je ne comprenais pas puisque Le Tableau est un film sur la peinture. J’ai dit au producteur qu’il aurait fallu que j’écrive une histoire sur la sculpture. C’est ce que je n’aimais pas dans la 3D, le volume que cela donnait au personnage. Ils se sont cassé la tête pour aplatir totalement ce volume et rendre les personnages beaucoup plus graphiques.

Je n’aimais pas trop la 3D et puis avec Le Tableau j’ai trouvé que c’était un outil formidable, et encore plus avec Louise en Hiver

Avant de vous lancer dans le long métrage, vous vous êtes également essayé à des courts-métrages en prises de vue réelles. Pourquoi ne pas avoir continué ?

J’ai toujours envie d’en faire mais je crois qu’il y a chez moi beaucoup de paresse. C’est-à-dire que la prise de vue réelle me faisait un peu peur. Non pas par le moyen d’expression, mais dans ma façon de l’aborder. Même si je faisais un film en prise de vue réelle, je me disais : « tu n’as qu’à faire comme quand tu fais un film d’animation », je me voyais faire un story-board. C’est ce qui s’est produit avec Plage Privée. J’avais dessiné les paysages, j’avais dessiné les personnages. Et puis ensuite — ce qui est complètement absurde — j’avais recherché dans les livres de casting les comédiens qui ressemblaient le plus à mes dessins. Ce n’est pas le moyen qui me faisait peur mais l’organisation de la production. Je me rendais bien compte que le tournage ressemblait à de la folie furieuse. Je ne me sentais pas du tout tranquille et je préférais me retourner vers mes personnages en papier.

Comment abordez-vous le travail d’équipe ? Vous semblez vous attacher à certains de vos collaborateurs, notamment au début de votre carrière à Pierre Arlan qui était votre compositeur.

Oui, c’était le cas avec Pierre Arlan, le musicien dont vous parlez qui a fait la musique de plusieurs de mes courts métrages et puis de Gwen et le livre des sables (premier long métrage de Laguionie, NDLR). Malheureusement, il a disparu très jeune. J’aime travailler avec des gens que je connais parce que je me sens vraiment en confiance au niveau de la communication. Mais ce n’est pas toujours facile suivant les productions. Et puis j’ai quitté le midi, en laissant derrière moi Christophe Héral (connu pour son travail au sein de l’industrie vidéoludique : Rayman de Michel Ancel, entre autres. NDRL) qui a composé la musique de l’Ile de Black Mor. Ça m’a amené à travailler avec d’autres comme Pascal Le Pennec, qui habite près de chez moi, pour Le Tableau : ça été plus simple pour travailler avec lui. Cela a été une découverte, c’est un grand compositeur de film. C’est ça, la chance.

On parle beaucoup de couleurs avec les musiciens

Pour Louise en Hiver la proximité de l’équipe de Jean-Pierre Lemouland a été aussi déterminante. Il m’a fait confiance sur le choix des collaborateurs mais aussi sur cette technique artisanale que j’ai voulu vraiment renforcer en faisant moi-même les décors, en avançant comme je le disais sur le rythme d’un journal de bord. Il s’est arrangé pour que cette liberté soit maintenue, le plus loin possible. Pour la musique, je ne laisse cependant pas la liberté totale à mes compositeurs. Tout simplement parce que je laisse déjà des pistes. Quand je fais mon animatique sauvage comme j’aime bien l’appeler, le film est monté sur une musique provisoire de compositeurs classiques que je prends dans ma bibliothèque. Cela leur donne déjà des indications de couleur. On parle beaucoup de couleurs avec les musiciens avec lesquels je travaille. C’est un langage qu’ils maîtrisent bien. Je connais mal le jargon, tandis que la couleur c’est plus facile.

Le Château des Singes n’est pas vraiment une adaptation du « Baron Perché »

Les arts dans leur ensemble abreuvent votre travail, on perçoit autant d’influences littéraires que picturales, musicales et cinématographiques. Quels sont les artistes qui vous ont marqué ?

J’ai eu des grandes passions successives en littérature avec des choses plutôt sérieuses comme Beckett. Maintenant, je suis plus attiré par des grands auteurs plus surréalistes comme Michaux ou Raymond Queneau. J’ai une grande tendresse pour Raymond Queneau, une affection. Sinon plus jeune, entre 10 et 20 ans, c’était plutôt les romans d’aventures comme ceux de Jack London, Jules Verne, qui ont été très importants pour le travail que j’ai effectué par la suite. Le Château des Singes n’est pas vraiment une adaptation du « Baron Perché« , c’est très très vaguement inspiré d’Italo Calvino. J’avais écrit une adaptation du Baron Perché parce que je rêvais d’en faire une adaptation, que j’ai abandonné très rapidement. J’ai gardé dans Le Château des Singes le goût pour la forêt, pour les arbres, pour l’idée de prendre de la hauteur. Je ne sais pas pourquoi on évoque « Le Baron Perché » pour Le Château des Singes. Pour la musique, j’ai une grande passion pour la musique française de la fin XIXe début XXe, la musique américaine plus abstraite des années 30-40. En peinture, j’ai tout aimé successivement. En préparant Louise en Hiver j’ai découvert, un peintre, Jean Francis Auburtin, un post-impressionniste des années 1910, mais également les peintres naïfs. Pour le cinéma, c’est plutôt le cinéma de fiction — je suis un cinéphile passionné — le cinéma américain. Avec Colombat, nous étions des admirateurs de comédies musicales, de westerns. Ensuite, plus tard avec l’âge, quand j’avais 30 ans, j’ai été attiré par des œuvres plus graves, comme Bergman et plus récemment par Woody Allen, qui est un peu l’équivalent de Raymond Queneau.

Si vous ne voulez pas faire de vos films des œuvres à messages, on peut tout de même voir dans vos œuvres une préoccupation face à l’injustice et la place des femmes dans nos sociétés.

Comment rassembler l’injustice et la place des femmes ? Le féministe qui est en moi peut en effet rassembler ces thématiques assez facilement. Les femmes ont souvent un mauvais rôle dans le cinéma d’animation. Soit elles sont des guerrières, soit elles sont des princesses. Je cherche à leur donner un meilleur rôle, plus complexe. Dans L’île de Black Mor, l’injustice était une façon de rejoindre les thématiques des romans d’aventures. Le thème de l’orphelin, c’est toujours une injustice.

Les femmes ont souvent un mauvais rôle dans le cinéma d’animation (Photo: L’Ile de Black Mor)

Image de couverture tiré du documentaire « Le rêveur éveillé » (2015) de Jean-Paul Mathelier (JPL Films)

En bonus, notre première rencontre avec le cinéaste lors du 17e Festival du Film d’Arras en novembre dernier. 

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