Close Encounters with Vilmos Zsigmond : La valse des fantômes

Rencontres du troisième type, Voyage au bout de l’enfer, Blow Out… Autant de classiques hollywoodiens qui portent la même patte: celle du chef opérateur Vilmos Zsigmond. Figure du Nouvel Hollywood et des décennies suivantes, cet immigré hongrois biberonné à la photographie a laissé un impact majeur sur l’ensemble du cinéma hollywoodien. De l’autre côté de l’Atlantique, Pierre Filmon, projectionniste au Grand Action, cinéma emblématique du circuit Art et Essai parisien, rêve de rendre hommage aux films dont les bobines tournent encore régulièrement dans les rétrospectives de son établissement.

La rencontre fantasmée finira par avoir lieu en mai 2014, lors d’un passage à Paris de Zsigmond alors que celui-ci vient d’être honoré par le Festival de Cannes. Les deux hommes se lient d’amitié et Filmon se lance alors dans l’ambitieux projet de documenter l’œuvre de Zsigmond par ceux qui l’ont côtoyé. Et ils sont au final nombreux à avoir répondu présent signe de l’influence historique de celui qui reste l’un des plus grands chefs opérateurs du septième art.

Dès ses premiers instants, Close Encounters with Vilmos Zsigmond annonce la couleur et évite l’écueil de la biographie plan-plan. On retrouve Filmon et son équipe dans le sous-sol du Grand Action, préparant le portrait de Zsigmond qui leur fait face. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le vieux loup ne veut pas faire les choses n’importe comment, ne se privant pas pour donner ses directives aux techniciens qui l’entourent.

On pourrait y voir une facétie d’écriture et de mise en scène, mais le spectateur comprend rapidement que ce premier contact permet en creux de cerner immédiatement la personnalité de Vilmos Zsigmond. On découvre un personnage aussi sympathique qu’exigeant, pédagogue et incisif, habitant le cadre autant qu’il le construit. Un être aussi inaccessible et lointain (de par l’héritage de son œuvre) que familier. Une Close Encounter dans tous les sens du terme.

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Le film de Filmon parviendra toujours à gérer cet équilibre entre grande Histoire et petites histoires. Même lorsqu’il aborde un angle plus personnel (sa relation avec son épouse Susan Roether), le film ne se départit jamais de l’analyse de l’oeuvre et du style de son sujet. Il faut dire qu’il y a déjà suffisamment à dire en la matière, et Pierre Filmon a qui plus est trouvé pas mal de beau monde pour en parler. Pendant près d’une heure et demie défileront tour à tour devant sa caméra John Boorman, Jerry Schatzberg, Richard Donner ou encore Nancy Allen et John Travolta, le duo reformé de Blow Out, ainsi que de nombreux de ses congénères eux aussi au rendez-vous (Bruno Delbonnel, Vittorio Storaro et son grand ami Darius Khondji).

Mais la principale force de Close Encounters… réside dans la qualité avec laquelle le film emboîte le témoignage et l’analyse filmique. La plus impressionnante de toutes les rencontres s’avère sans aucun doute celle avec le toujours flamboyant Peter Fonda, dont Zsigmond avait mis en boîte son western maudit L’homme sans frontière en 1971. En deux séquences, Fonda met en lumière le lien extraordinaire qui se lie sur un tournage entre le « director » et le « cinematographer » : la première à travers un hommage à son père Henry sur La poursuite infernale, la seconde sous la forme d’un passionnant commentaire du plan-séquence finale de L’homme sans frontière. Une véritable pépite pour cinéphiles qui fait mouche et qui donne immédiatement envie de se précipiter sur ce film emblématique du tournant de la contre-culture hollywoodienne.

Close Encounters with Vilmos Zsigmond ne serait pourtant pas l’objet qu’il est si l’on n’abordait pas les circonstances particulières dans lequel le film se termina en mars 2016, soit deux mois après le décès de Zsigmond le 3 janvier dernier. Avec une pudeur bienvenue, le film n’aborde pas frontalement la disparition de son personnage principal mais laisse flotter une nostalgie qui témoigne de la fin d’une ére pour le cinéma hollywoodien, et mondial en général. Autant qu’un ballet de grands noms, Close Encounters est aussi une valse des fantômes où la mémoire de Vilmos Zsigmond vient se percuter à celle de son ami Haskell Wexler (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Qui a peur de Virginia Woolf ?, Dans la chaleur de la nuit) décédé une semaine avant lui, ou encore à celle de Gordon Willis, chef-op de toujours de Woody Allen disparu en mai 2014. Sans parler d’une mention furtive au regretté Raoul Coutard, qui nous a quitté pas plus tard que cette semaine…

Film témoin de la disparition d’une certaine idée de l’image cinématographique, Close Encounters with Vilmos Zsigmond est un hommage sincère et soigné à son sujet. Sans jamais sacrifier son sens de la pédagogie sur l’autel de l’émotion facile, c’est une pure gourmandise de cinéphile, faite par un passionné pour des passionnés. Comment ne pas avoir envie de faire passer le message ?

Close Encounters with Vilmos Zsigmond, un documentaire de Pierre Filmon

Sortie nationale indéterminée (des séances sont prévues au Grand Action les lundi 14 et mercredi 16 novembre)

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