Fuocoammare, par-delà Lampedusa de Gianfranco Rosi

Gianfranco Rosi passe un an et demi sur l’île de Lampedusa, porte d’entrée sur l’Europe depuis l’Afrique, à filmer les vies des insulaires et celles des migrants. Il n’y a ni scénario, ni acteurs : les habitants de l’île sont capturés dans leur quotidien et les réfugiés dans le caractère exceptionnel de leur destin pourtant si partagé.

Feu sur la mer  est une chanson italienne populaire qui rappelle à Maria le temps de la guerre où un bateau s’enflamma près de l’île, et « la mer est devenue rouge », raconte-t-elle. Mais le titre a un autre sens pour les déracinés, puisqu’aujourd’hui, la mer est rouge de la mort de 7 500 d’entre eux, selon les chiffres de l’Organisation Internationale pour les Migrations (et 10 000 quelques mois après d’après l’ONU). Depuis l’Opération Triton mise en place par l’Union Européenne à travers l’agence Frontex, les émigrants ne sont plus en contact avec les insulaires, explique le réalisateur : les côtes sont surveillées et les réfugiés interceptés.

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« Oui, tu es un peu anxieux »

Samuele, personnage principal de l’histoire, est un enfant de marin, d’une dizaine d’années qui joue à la fronde avec un ami, parfois, seul, souvent, et entraîne son estomac à résister aux secousses de la mer sur le ponton du port. Le spectateur est témoin du vide des jours : les mêmes chansons d’amour diffusées à la radio, les repas aux sons de couverts, les balades nocturnes, la monotonie de l’école… Il s’agit, en somme du quotidien d’un gamin isolé issu d’une famille mutique, mais dont l’imagination est salvatrice. La sensibilité de l’enfance ne sait ni les mers ni les frontières et Samuele ressent une angoisse flottante, qui pèse sur sa poitrine et l’empêche de respirer. « Oui, tu es un peu anxieux », lui répond Pietro Bartolo, le médecin permanent qui sauve des milliers de déracinés et ne s’habitue jamais à la mort et à la douleur de tant d’êtres.

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l’arbitraire des destins donne à l’expérience du déchirement une qualité universelle

Le réalisateur laisse les autres raconter et propose sa compassion à travers des plans qui prennent le temps d’écouter et honorent toujours les regards si parlants. C’est l’absurdité de l’existence qu’a du mal à reconnaître notre œil paresseux qu’il révèle à travers ces temporalités de vie qui paraissent si lointaines et se jouent pourtant sur vingt kilomètres exigus encerclés par l’eau dévoreuse. Si distantes, oui, mais aussi si familières, parce que l’arbitraire des destins donne à l’expérience du déchirement une qualité universelle.

L’humanité est omniprésente : Gianfranco Rosi permet l’amour de l’Autre qui déclenche la compréhension émotionnelle de sa souffrance et de son espoir et qui oblige à la responsabilité.

Fuocoammare, par-delà Lampedusa, Gianfranco Rosi (documentaire) 1h49. Sortie le 28 septembre 2016.

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