Nerve : Hunger J’aime

C’est qu’on commence à se faire vieux, dis donc. Ça y est, les geeks biberonnés aux réseaux sociaux commencent à être en âge de faire des films, et d’en faire des bons, même. Une petite année après l’immense Unfriended, qui abordait le sujet des réseaux sociaux sous un angle horrifique, Nerve brandit la carte du thriller.

A l’instar d’Unfriended, c’est surtout un film qui expérimente de nouveaux modes de narration et multiplie les canaux de diffusion de l’action en naviguant entre caméra, smartphone et multiples applications. De fait, Nerve est extrêmement déroutant, toujours sur le fil très étroit séparant un film générationnel d’un gadget neuneu.

Autant le dire d’emblée, c’est très réussi (quoique évidemment moins qu’Unfriended, faut pas déconner non plus).

Sous ses airs de film voué au direct to VOD (affiche craignos, bande-annonce craignos, casting d’acteurs de seconde zone), Nerve parvient en quelques scènes seulement à poser des enjeux assez passionnants.

Vee (pour Venus) est une universitaire un peu coincée. Sans courage pour aborder le mec qui lui plaît, pour dire à sa mère combien vivre à ses côtés l’emmerde, à ses amis combien ils peuvent être relous, Vee subit. Mais en voyant le phénomène Nerve, une application mystérieuse (un peu comme Pokémon Go), se propager autour d’elle, elle décide de franchir le pas, et de devenir une joueuse. Nerve, c’est un choix : être voyeur ou joueur. Elle sera joueuse, et devra donc relever des défis que les voyeurs lui adresseront.

Si le film est une telle réussite, c’est certainement grâce à la mise en place de ses principaux enjeux. L’on comprend le principe de Nerve en même temps que l’héroïne, à travers des comportements bizarres de jeunes joueurs. L’appli est présentée comme quelque chose qui, lorsqu’on n’en a pas connaissance, brouille la réalité. Et c’est certainement, s’il y en a un, le pouvoir le plus fort des réseaux sociaux : creuser de nouveaux codes pour les gens les adoptant, excluant ceux qui s’en désintéressent. Ici, un mec se met à chanter dans un restau en sautant sur des tables, les gens applaudissent, mais personne (sauf les voyeurs et autres joueurs, que l’on n’identifie qu’en arrière plan de temps en temps) n’a conscience du fait que c’est là un défi qu’il relève, un acte de pure servitude aux voyeurs, avec une petite centaine de dollars à la clé.

Les voyeurs, on ne les connaîtra pas vraiment. Ils sont une entité fantomatique très organisée et de fait assez flippante. Mais ils sont également nous, spectateurs bien assis dans cette salle 36 du cinéma des Halles (putain mais y a combien de salles, en tout ?) à attendre qu’il se passe des trucs. Ils sont cette société incapable du blanc dans la conversation sans un smartphone pour le pallier, incapable du film chiant, réduite à aller aux toilettes avec son téléphone. Ils sont ce spectre d’Unfriended, ceux qui, puisqu’il bouffent de la bande passante en masse, font se brouiller des streamings : l’horreur du 21e siècle au cinéma, il faudra vous y faire, c’est le datamoshing.

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Vee se prend au jeu et grimpe vite les échelons. C’est que les voyeurs tiennent ici quelqu’un de pur, quelqu’un dont ils n’ont aucune idée des limites puisqu’elle même n’en sait foutre rien. Vee, c’est un peu la meuf du tout premier Loft Story : celle qui ne sait pas du tout dans quelle galère elle est en train de se fourrer, celle qui n’a pas d’outils de compréhension de ce qui lui arrive.

Le film pourrait se cantonner à être un beaux petit objet malin en capitalisant sur cette efficace idée de départ s’il ne se muait pas en thriller palpitant dans sa deuxième moitié. A la manière du The Game de David Fincher, il parvient à nous paumer entre jeu et vie, entre fiction et réalité. A la première lecture aussi, donc, on en a pour son argent : on se passionne pour une bluette plus ou moins sincère, on tremble pour une amitié, on fait de la moto à 100 km/h les yeux bandés ; le film est loin d’être avare et de tourner en rond.

Mais c’est au sortir de la salle qu’il est le plus intéressant, lorsqu’on réfléchit à sa morale qui, sur le coup, agace quelque peu. Il s’agit évidemment, et je ne pense pas spoiler quiconque en vous dévoilant ceci, de faire dire aux héros combien le virtuel est dangereux et absurde. Le tout sonne tellement faux dans une scène vraiment moche que c’en est assez désarmant. Mais ladite scène est dégoupillée en fin de film par un petit retournement de situation extrêmement gros sabots aussi, quoique – m’en rends-je compte rétroactivement – en disant long sur l’esprit même du film.

De morale il n’y a finalement pas vraiment. Si ce n’est que le virtuel n’est qu’un jeu. Un jeu que ceux qui l’utilisent connaissent bien mieux que ceux qu’il effraie. Et qu’en vieillissant, on finira tous par devenir des vieux cons.

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