Roadies : De la musique avant toute chose

Quelques mois après l’accident de parcours Welcome Back, mélo hawaïen raté, poussif, à peine sauvé par une jolie scène de danse avec Bill Murray et plombé par la polémique sur le whitewashing de son rôle féminin principal (Emma Stone y incarnait une native hawaïenne), Cameron Crowe refait parler de lui. Le cinéaste revient frontalement à l’une de ses passions, la pop music, avec Roadies… sa première série télé. Signée pour Showtime. Avec Luke Wilson, Carla Gugino ou encore Imogen Poots. Enfin, surtout Imogen Poots. Banco, billet pour le Roadies Express directement poinçonné.

La réception plutôt fraîche de la série outre-Atlantique confirmait cependant que Cameron Crowe reste, plus encore aujourd’hui, un nom qui divise profondément les cinéphiles (et désormais les sériephiles). Hormis ses deux véhicules pour Tom Cruise (Jerry Maguire et dans une moindre mesure Vanilla Sky), ses films n’ont jamais été de grands succès, quand ils n’ont pas été des fours monumentaux. Et son cinéma volontairement généreux, humain jusqu’à l’excès, lui a parfois collé quelques étiquettes bien imméritées. Surtout pour le bien mal aimé Nouveau départ, bien chouette dès qu’on surpasse son pitch de départ un peu neuneu.

Sur le papier, on a forcément envie de croire en Roadies. On espère voir ressurgir les souvenirs du jeune reporter qui avait débuté à peine majeur dans les colonnes de Rolling Stone à suivre les plus grands noms des seventies. Et on résiste à l’envie irrépressible de tartiner 30.000 signes à décrire par le menu chaque moue d’Imogen Poots ou à s’enthousiasmer pour nos retrouvailles avec le toujours impeccable Luke Wilson.

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ON A DIT NON

The Past is a Grotesque Animal

Il y a toujours dans les œuvres de Cameron Crowe une petite touche surannée. C’était le cas dans Rencontres à Elizabethtown. C’était aussi le cas dans Nouveau Départ, ou même dans son clip de The Fixer signé pour ses grands copains de Pearl Jam, trip surdécoupé aux écrans superposés qui prenait des allures de collage DIY furieusement grunge. Roadies, s’il exhume les souvenirs de plus d’un demi-siècle de rock’n’roll, lorgne amoureusement tout de même vers les années. On y fait du skate, on y porte des sweatshirts Champion et des T-Shirts des Seattle Supersonics, et c’est à cette époque qu’on peut de toute manière y renvoyer les débuts du Staton House Band, le groupe fictif de Roadies (le seul de la série, qui multiplie les caméos hétéroclites, du vétéran John Mellencamp à la toute jeune Halsey).

L’équilibre reste cependant toujours précaire entre nostalgie et désuétude, et c’est ce rapport ambigu au passé qu’elle charrie qui pose le premier problème rencontré par Roadies. Très occupée à vouloir s’inscrire dans la légende du rock, elle oublie parfois un peu trop souvent les êtres du présent. Il ressort du visionnage des premiers épisodes de Roadies l’impression d’un quasi anachronisme. Incapable d’insuffler un semblant de véritable direction narrative, le réalisateur enveloppe ses personnages dans une douceur ouatée qu’on devine aisément nostalgique. C’est forcément très agréable un temps, puis on se rend compte tout de même que tout ça, ça n’avance pas des masses. Les personnages se figent dans des archétypes qui tiennent à l’échelle d’un film, mais qui finissent par se diluer dans le temps long que représente une série.

On devine assez rapidement que bien qu’il choisisse ce sujet qu’il connaît parfaitement comme trame de fond, Cameron Crowe ne veut pas faire de Roadies une plongée documentaire exhaustif du quotidien des techniciens du monde de la musique. Et au fond, nul n’est tenu de lui en tenir rigueur, tout comme au fond on s’en fout royalement de savoir que, comme le soulignent certains véritables roadies, tout cela n’a pas l’air bien vraisemblable. Non sérieusement, on s’en fout. Ce que l’on voulait avec Roadies, c’est une aventure humaine touchante, des persos qui paient pas de mine mais qui sont sacrément chiadés, une empathie de tous les instants et une BO qui fait l’amour tendrement (bougies, draps de soie et feu d’artifice en arrière-plan) à tes oreilles. Pas de problème sur ce dernier point mais pour le reste, cela s’avère un chouïa plus compliqué.

A simple kind of man

Les archétypes chez Cameron Crowe, on y est habitués. Après tout, on parle bien du cinéaste qui a à lui tout seul défini la « Manic Pixie Dream Girl« , à savoir la fille cute, adorable, désintéressée, parfaite, pas du tout réaliste et qui semble juste là pour panser les peines de cœur de son contrepoint masculin (à savoir ici Kelly-Ann et Reg, incarnés par Imogen Poots et Rafe Spall). Cette expression aussi détaillée que parfois un peu fourre-tout est en effet née de la plume du critique Nathan Rabin à propos du personnage de Kirsten Dunst dans Elizabethtown (on peut toujours en débattre hein, mais ceci est une autre histoire), et poursuit depuis le cinéma de Crowe, à l’aune de laquelle ont été jugés l’ensemble de ses films suivants.

Le problème ici, c’est que les personnages qui ne sont pas volontairement ancrés dans des stéréotypes ne sont carrément pas des personnages et errent comme des fantômes dans la série au point qu’on finisse par oublier leur raison d’être dans la série (certains backstories sont parfois zappées inexplicablement). On se rend compte très vite que l’ensemble peine à tenir debout, que Machine Gun Kelly joue encore plus horriblement mal qu’il ne chante et que parfois, cette sympathique bande de saltimbanques s’avère parfois être un sacré groupe de gros cons (en témoigne le dénouement de l’atroce épisode 3 où vient se perdre le pauvre Rainn Wilson), y compris envers les femmes.

Puis au détour d’un moment charnière, à l’image du très bel épisode 8 qui casse les codes de la saison en envoyant la troupe sur la route le long d’un épisode marqué par une superbe sous-intrigue en forme de flashback sur Lynyrd Skynyrd, l’équilibre se retrouve. On repense à tous nos griefs, tous les écueils qui plombent objectivement cette saison très imparfaite, parsemée d’épisodes très inégaux. Et on replonge, une nouvelle fois, dans le monde magique que Cameron Crowe a bâti par petites touches.

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Roadies, c’est un peu ton ou ta pote qui arrête pas de te parler de philo n’importe comment même s’il a eu 4 à sa dernière dissertation. C’est ce mec ou cette fille de l’internat qui ne te parle jamais du présent mais qui peut passer quatre heures à te décortiquer chaque légende urbaine derrière The Dark Side of the Moon. C’est cet(te) amoureux/se transi(e) dont l’éducation sentimentale s’est avant tout construite avec Goethe et Benjamin Constant qu’avec un profil Tinder. C’est ce quelqu’un qui, sans être passéiste, veut vivre sa vie comme il l’imagine et se l’est construite à l’image de l’art. Une réalité sans substance et sans époque qui n’est que le reflet d’un monde idolâtré, où chacun serait lui-même un être lumineux.

Nietzsche ta mère

Le grand mélomane qu’était Nietzsche écrivait de son art favori qu’il était « un exercice de métaphysique inconscient dans lequel l’esprit ne sait pas qu’il fait de la philosophie« . Les personnages de Roadies sont du même acabit : même dans leurs aspects les plus triviaux (voire les plus problématiques), ils ne peuvent pas s’empêcher d’être poètes. En cela, Roadies creuse le sillon nietzschéen de l’oeuvre de Cameron Crowe. Vanilla Sky (tout comme Ouvre les yeux dont il est l’adaptation) était à sa façon une réflexion sur le concept d' »éternel retour », qui s’applique en quelque sorte aux compagnons de route du Staton House Band, tellement fascinés par les légendes de leurs prédécesseurs qu’ils s’emploient presque à revivre leur vie, comme en témoignent les discours de motivation de groupe de Bill fonctionnant quasiment sur le mode du décalque référentiel.

« Cette vie, telle que tu la vis et l’a vécue, il te faudra la vivre encore une fois et encore d’innombrables fois; et elle ne comportera rien de nouveau, au contraire, chaque douleur et chaque plaisir et chaque pensée et soupir et tout ce qu’il y a dans ta vie d’indiciblement petit et grand doit pour toi revenir, et tout suivant la même succession et le même enchaînement – et également cette araignée et ce clair de lune entre les arbres, et également cet instant et moi-même« , écrivait Nietzsche dans Le Gai Savoir. N’y a-t-il pas meilleure maxime pour décrire l’aspiration première des protagonistes de Roadies ?

Dans Presque célèbre, l’inoubliable Lester Bangs (Philip Seymour Hoffman) donnait le conseil vivant au jeune William Miller (Patrick Fugit), double fictionnel de Crowe : « La seule monnaie de ce monde en faillite, c’est ce qu’on partage quand on n’est pas cool« . Roadies, c’est en quelque sorte l’histoire du rock qu’aurait écrit le jeune William Miller à ses débuts, idéalisme en bandoulière : l’histoire d’une bande de gens pas forcément cools sanctifiés par le regard d’un narrateur-fanboy transi d’admiration et qui s’adresse à des freaks dans son genre sans filtre ni recul sur ce que ceux-ci peuvent avoir parfois de problématiques. D’ailleurs, lorsque l’on écoute Cameron Crowe parler de Presque célèbre, difficile de ne pas y voir le même point de vue développé dans Roadies.

Si Roadies faillit sur les aspects plus conventionnels de ce que l’on peut qualifier de « série bien faite« , elle n’en demeure pas moins un écrin tissant sur la longueur un cocon dans lequel viennent se lover ceux que l’optimisme béat de Cameron Crowe ne rebute pas. Un pur objet d’atmosphère, une bluette mièvre aux paroles mal écrites mais qui reste dans la tête et avec laquelle on finit par nouer un lien intime inexplicable qui nous fait y revenir à chaque fois. Il n’est pas dit que le charme aurait opéré sur la longueur, mais à l’échelle d’une saison (qui devrait rester unique, vu le four retentissant de la série en termes d’audiences), Roadies a le mérite de nous embarquer dans son tendre optimiste. Avec Imogen Poots, si possible.

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