Good Kill : notre dérive militariste

Au vu des événements survenus récemment à Nice, et de la décision du gouvernement français d’intensifier les frappes sur l’Irak et la Syrie, revoir Good Kill, dernier film d’Andrew Niccol, est primordial. Par sa pertinence politique, il brosse le portrait d’un conflit moderne qui dérive vers les actes de guerre gratuits et injustifiés. Surtout, il offre le recul nécessaire face au trop-plein d’images que les chaînes d’informations diffusent à longueur de temps, sans la moindre réflexion. Intéressant d’ailleurs de voir que ce recul s’opère à travers un militaire, ancien pilote de chasse reclassé au sol, désormais chargé des « frappes préventives » depuis un drone. La construction du héros est cousue de fil blanc (perte de repères, déchéance et résurrection), représentant le seul point faible du long-métrage. Cependant la mise en scène ainsi que la manière d’amener les autres personnages autour de lui tissent véritablement une réflexion sur l’image. Andrew Niccol nous oblige comme spectateur à regarder la captation, d’un bombardement de civils, retransmis par le drone. Instantanément, nous nous interrogeons sur la réception que l’on s’en fait. Thomas Egan (notre héros) contrôle son engin avec de simples joysticks, renforçant l’idée d’un meurtre commis aussi naturellement qu’on s’amuserait à un jeu vidéo. Il n’est pourtant pas question de stigmatiser les écrans, mais bien de replacer en perspective cette irréalité qui se dégage de ces scènes, par la suite mises en corrélation avec l’environnement extérieur : la banlieue de Las Vegas, fleuron du simulacre..

nous nous engageons dans un cercle vicieux.

L’apparente ressemblance entre les vues aériennes du drone sur le désert afghan et la banlieue américaine où réside le héros n’est d’ailleurs pas anodine. Il est évident que Niccol souhaite appuyer l’idée que deux camps similaires s’affrontent, qu’ils partagent ou non les mêmes points de vue idéologiques. Les ordres émis aux pilotes seront, ainsi, de plus en plus sordides, voire même surréalistes. Le film évoque autant des doubles frappes que des pertes volontaires et cyniques de civils ou encore bombardements dans des pays contre lesquels les USA n’ont jamais été en guerre. L’ensemble amène à comprendre que nous nous engageons (et pas seulement les États-Unis) dans un cercle vicieux. Les terroristes agressent les Occidentaux quand nous les attaquons tout autant, avec des tactiques similaires. Dès lors, il n’est pas difficile de saisir pourquoi certains territoires nous en veulent aussi, et pourquoi certains s’enfoncent dans l’obscurantisme. Il n’est pas non plus question de savoir qui a tiré en premier, et lequel serait plus légitime dans ses actions. Il s’agit de voir comment un bouleversement dans l’Histoire (les attentats du 11 septembre 2001) a été la porte ouverte à toutes les dérives sécuritaires et oppressives. Cette fuite en avant a fini par déteindre sur l’idée de ce que l’on se fait de nos démocraties. Les attaques basées sur des « comportements anormaux » dans le film, nous rappelle, indirectement, l’État d’urgence que nous vivons actuellement en France. Le gouvernement se donne des moyens exceptionnels pour analyser toute dérive possible vers une radicalisation (chose à laquelle il ne parvient pas, par ailleurs). Nous assistons à un glissement idéologique, et des méthodes d’espionnage, utilisé en période de guerre sont de plus en plus mis en pratique pour analyser la population en temps de paix : cela en dit long sur les limites franchies. De la même manière, que dire de la façon dont l’imagerie militaire et propagandiste s’insinue dans notre quotidien ?

La réalité se retrouve dévitalisée et décomposée en images et signes

En cela, on en vient à la dernière question que pose le film : celle du rôle des militaires engagé(e)s dans la défense de leur pays. Il s’agit du célèbre sophisme, à savoir que bombarder directement ceux qui nous attaquent revient à protéger préventivement ceux qui peuplent notre état. La sécurité des uns prime sur celle des autres. Mais il convient aussi de voir comment ces nouvelles tactiques sont perçues par ceux qui se sont engagés pour une cause et des valeurs. Comment un gouvernement peut-il faire miroiter une certaine idée de la justice pour ensuite rabaisser ceux qui la défendent ? Le désarroi du héros, contraint à terre alors que sa passion est de parcourir le ciel, pointe aussi du doigt cette mainmise de l’état sur la vie de ceux qui se battent pour eux. Il ne s’agit plus uniquement de dérives guerrières, mais d’un impact direct et psychologique sur ceux qui la mènent au front.

À travers la critique acerbe des bavures militaires actuelles (pas seulement aux États-Unis) — et leurs conséquences sur le moral de chaque membre du corps de défense — Good Kill amène à un amer constat. La réalité se retrouve dévitalisée et décomposée en images et signes qui nous enferment dans une routine mortifère de plus en plus contraignante. Surtout, il nous conduit à nous inquiéter sur les prochaines dérives françaises…

About The Author

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.