Interview de Claude Barras à l’occasion de la sortie de Ma vie de Courgette

C’est un projet que vous semblez porter depuis longtemps, comment s’est déroulée la production du film ? Comment en êtes-vous arrivés à adapter le roman de Gilles Paris ?

Il y a eu beaucoup d’étapes. Beaucoup de belles personnes très talentueuses qui ont donné de leur savoir-faire et de leur art. Un des exemples pourrait être Morgan Navarro qui fait de la bande dessinée à Grenoble. À un moment, je l’ai appelé pour réécrire le scénario, et surtout les dialogues sur lesquels il a beaucoup travaillé. Comme on tournait un peu en rond sur le scénario, on a fait appel à Céline Sciamma via mon producteur qui la connaissait bien et était d’accord pour qu’on réécrive, ce qui m’a enjoué, car j’avais adoré Tomboy. Donc c’est vrai que maintenant avec la sortie du film on parle beaucoup du scénario de Céline Sciamma et c’est super chouette, mais du coup Morgan Navarro qui n’avait pas vu le film est arrivé là hier avec beaucoup d’anxiété. À la sortie de la projection il était : « ah, mais c’est génial elle a gardé plein de dialogues que j’avais faits ! » Notamment tous les dialogues dans le dortoir sur la sexualité. Donc ça a été différentes strates avec des gens qui ont amené un peu de savoir-faire et moi qui ai orchestré tout ça du mieux que j’ai pu. Mais au tout départ il y a Cédric Louis avec qui j’avais fait plusieurs courts-métrages qui m’a fait lire le livre de Gilles Paris.

 

À quel moment du développement avez-vous apporté les modifications par rapport au roman ? Le meurtre de la mère ? Ou le changement de configuration de l’orphelinat ? Comme le public visé par votre film n’est pas le même que le roman.

C’était tout simplement ma volonté dés le départ, parce que j’aime faire du cinéma jeune public. Je n’ai pas d’enfant alors peut-être que c’est ma manière de transmettre quelque chose aux générations qui suivent. Ça fait peut-être un peu pompeux, mais mon envie première est de m’adresser au jeune public. Donc le challenge était de prendre le roman, et de rester le plus fidèle possible à ce que j’avais aimé dans son histoire. Ensuite comme c’était mon premier long-métrage il a fallu simplifier certaines choses pour des raisons budgétaires. Garder un minimum de personnages pour que ça soit crédible, et qu’on puisse s’attacher à chacun d’eux. Il en va de même pour les décors qui ont été reconfigurés, les enfants ne prennent plus le bus pour aller à l’école puisque tout se passe au même endroit.

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Claude Barras sur le tournage de Ma vie de Courgette

On ressent dans votre film une véritable nostalgie de l’enfance. Comme une envie de raconter aux plus jeunes des choses que vous avez vous même vécut enfant. Comment aborder cet aspect pédagogique, des sujets plus durs que d’habitude, leur offrir des émotions complexes ?

Oui, c’était ça le grand défi à relever. Morgan Navarro a déjà apporté beaucoup de finesse dans son écriture des dialogues. Céline est partie sur ce premier travail de scénario et a dû en garder la moitié. Elle avait carte blanche alors j’ai pensé au début qu’elle allait repartir à zéro, mais comme il y avait beaucoup de choses qui lui plaisait elle a réécrit la seconde moitié pour encore simplifier, être plus près des personnages, que chacun ait son petit moment. Je pense qu’elle a fait un travail d’épure sur le scénario assez magnifique, qui quand je l’ai reçu allait tout droit vers ce que j’aime faire. Ce côté assez réaliste, assez émotionnel, mais en même temps construit comme une partition de façon assez mélodieuse. C’est étonnant parce que d’une projection à l’autre, avec des publics très réceptifs je me suis rendu compte de cette mélodie qui alterne entre moment drôle, moment triste, moment drôle, etc. Qu’il y a une mécanique implacable qui pourrait faire très mélodrame ou qu’on pourrait ressentir comme telle, mais que Céline a écrite de manière tellement subtile que je ne m’en suis rendu compte qu’après coup.

c’était sur qu’on ne pouvait pas avoir une arme à feu pour éviter la censure

Le film en équilibre, navigue entre légèreté des situations et gravité de son sujet. Vous réussissez à éviter l’écueil du journal intime.

On a beaucoup buté là-dessus. Comme pour le drame initial de la mère qu’il fallait poser (dans le roman Courgette, tue sa mère avec une arme à feu – NDLR), on a essayé différentes choses, une mère paraplégique qui tombe dans les escaliers par exemple, mais c’était sur qu’on ne pouvait pas avoir une arme à feu pour éviter la censure. Ça allait de toute façon contre le public qu’on voulait viser. Du coup dans sa deuxième tentative Céline a trouvé la bonne solution, et a surtout réussi à raccourcir toute la partie du début pour arriver rapidement au foyer.

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Animateur reglant les derniers détails de la première scène de Ma vie de Courgette

Pouvez-vous nous en dire plus sur comment vous avez préparé le film auprès des jeunes acteurs ? L’enregistrement des voix apporte du réalisme, un aspect social. Cette dimension sociale, cet engagement était important pour vous ?

Oui oui il a été très important dans tous les sens du terme, puisqu’effectivement quand il y avait des dialogues sur la sexualité ou ce qu’avait pu vivre les enfants avant d’arriver dans ce foyer, ou même quand les enfants devaient s’embrasser à un moment donné on travaillait avec eux, scène après scène, en les faisant jouer, se déplacer, occuper l’espace. Et je pense que c’est cette interaction par le jeu qui a amené une couche de plus, réaliste, mais aussi très fine, très émotionnelle, puisqu’en fait les enfants ressentaient les émotions, très vite ils sont rentrés dans les personnages et ne jouaient plus, c’était devenu eux-mêmes.
J’étais accompagné de Marie-Eve Hildbrand qui a l’habitude de travailler en fiction avec des enfants. Elle est directrice de casting et réalisatrice basée à Lausanne. Elle amorçait toujours sur une journée, on devait tourner trois ou quatre heures, le reste du temps on le passait plutôt à jouer au foot, à manger avec eux et du coup dans ces moments-là ça permettait d’aborder les sujets, de leur poser des questions et de préparer le moment où ils allaient rentrer dans leur rôle.

C’est de cette façon que j’ai envie de continuer à travailler

Votre film est riche de cette réalisation un peu hybride, comme si vous aviez tourné le film deux fois, une première fois avec l’enregistrement des voix, puis le travail de en stop-motion. Comme si le médium n’était que secondaire. Cela s’est joué dés l’écriture ?

C’est la première fois qu’on poussait cette façon de faire aussi loin. Comme c’est un film, et que je n’ai pas grandi dans un foyer, je suis allé faire un stage d’immersion de 3 semaines où j’ai rencontré les gens qui y travaillent, mais aussi les enfants. J’ai fait des ateliers dessin, je leur expliquais un petit peu le film. J’avais besoin de cette légitimité pour être juste dans ce que je racontais puisque c’est ça qui m’intéressait, d’être le plus près de la réalité, ou d’une réalité qui puisse parler aux enfants aujourd’hui et maintenant. Et du coup en tournant avec les enfants, en les faisant jouer, on met à l’épreuve le scénario d’une manière radicale, parce que lorsqu’on met des enfants autour d’une table et qu’on leur dit « toi tu dois faire ça, et toi tu dois faire ça » s’ils sont trop éloignés ça ne marche pas, il y a une incarnation qui a été fait à ce moment-là qui a nourri tout le travail d’animation et de mise en scène que j’adore et qui vient par la suite. Mais cette partie là de travail avec les enfants et de mise en scène avec des acteurs réels je l’ai découvert avec ce film et grâce à Marie-Eve. C’est de cette façon que j’ai envie de continuer à travailler parce que c’est hyper substantiel. Ça nourrit le montage ; puisqu’en animation on a très peu de marge, il y a un premier travail de montage assez dense qui a pu se faire sur cette base.

Contrairement à ce qu’on croit, quand un animateur arrive sur un plateau et qu’il sait qu’il a un plan de 4 secondes et demie où le personnage doit regarder par terre, ressentir une émotion, lever les yeux, on se dit qu’il n’y a plus rien de créatif, mais en fait non c’est comme un acteur, une fois qu’il est cadré il va encore amener une couche de plus, et les voix vont le nourrir, la mise en scène aussi et c’est là que ça devient très riche couche après couche.

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Pourquoi avoir choisi la stop-motion, très contraignante, pour raconter ce film ? Car ça apporte à l’émotion, on peut naturellement y projeter beaucoup d’émotions. Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Il y a deux raisons. La première c’est que j’adore sculpter. J’ai fait une école d’illustration où on m’a initié à la sculpture ensuite j’ai fait deux films d’animation en dessin et c’est en travaillant pour les frères Guillaume sur leur film Max & Co que tout à coup je me suis dit qu’on pouvait faire de l’animation et sculpter en même temps. Dans les personnages, il y a plein de petits détails de volume, que la lumière va éclairer différemment. Se sont des personnages très simples. La partie où je fabrique encore sans diriger les autres c’est la sculpture des personnages. Ensuite la seconde raison c’est que je suis quelqu’un qui hésite beaucoup, et qui a de la peine à prendre des décisions dans la vie. Du coup, la stop-motion avec sa rigueur m’oblige à prendre des décisions, à ne pas revenir en arrière, et me soulage dans cette hésitation. C’est une mécanique qui me permet d’être très créatif. Ça a été assez compliqué à un moment, beaucoup de gens ont eu des périodes d’angoisse, de savoir si on arriverait au bout du film ou pas. J’ai eu la chance de rester solide, tant que je ne paniquais pas on continuait à faire le film, et cet état d’esprit en stop-motion est une grande part du travail de réalisateur, donner confiance aux gens. Car en totalité le tournage a duré 10 mois. Mais il faut compter avant 1 an et demi de préparation. Construction des marionnettes, des décors, montage du studio. Donc en tout j’ai travaillé 3 ans non-stop, de l’enregistrement des voix au mixage du film. On tournait 3 secondes de film par jour !

j’aime beaucoup le Tombeau des Lucioles par exemple.

Quelles sont vos influences pour les marionnettes ? Ce mélange de couleurs et de tristesse au rendu cartoonesque ?

J’aime beaucoup le travail de Tim Burton sur L’étrange Noël de Monsieur Jack, pour moi c’est son plus beau film, qui possède encore un côté très artisanal, même si j’aime également Frankenweenie. Je lui trouvais à l’époque quelque chose de très libre. Il y a aussi Jiri Trnka un marionnettiste tchèque qui faisait des films d’animation, un artiste engagé, mais toujours au second degré pour échapper à la censure. Ses marionnettes en bois sont très belles, et m’ont inspiré au niveau des couleurs, des grands yeux, de ce qui émane des personnages. J’avais eu la chance de voir une rétrospective complète de son œuvre avec une super expo à Prague quand on démarrait le travail sur Courgette et je crois que l’aspect épuré de son travail m’a inconsciemment marqué. Il y a Mary & Max de Adam Elliott que j’aime beaucoup également. Et dans la narration dramatique, j’aime beaucoup LeTombeau des Lucioles par exemple. J’avais la volonté de faire un mélodrame.

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Jiri Trnka avec quatre de ses marionnettes.

Un mélodrame qui va à rebours de ce qu’on voit habituellement. Le foyer n’est pas uniquement source de déchirure, mais aussi de reconstruction. Il y a beaucoup d’espoir dans votre film.

 

J’ai plusieurs amis qui travaillent en foyer avec qui j’ai longuement discuté, je leur ai fait lire le scénario. Se sont des gens qui font un travail incroyable, très dur, puisqu’il est difficile de ne pas s’impliquer émotionnellement, et d’être touché quand les parcours deviennent compliqués.

Au-delà de la reprise de fin, comment s’est déroulé le travail sur la bande-son avec Sophie Hunger, pourquoi l’avoir choisi ? La bande-son apporte beaucoup à cet équilibre entre rêverie et réalisme.

Notre collaboration a commencé sur cette reprise de fin justement, et grâce à mon producteur. Sur les courts-métrages j’utilise très peu de musique, lorsqu’elle arrive c’est vers la fin comme dans Ma vie de Courgette. Je travaille surtout sur le bruitage, les ambiances, que j’entends quand je dessine, que je peux prévoir. Mais la musique je ne l’entends pas, c’est un travail que je dois faire en plus et surtout sur un long-métrage. Louis m’a dit de prendre des musiques que j’aime bien, de les poser aux endroits propices, et de jouer avec, histoire d’avoir à peu près une idée. C’est comme ça que j’ai choisi les Béruriers Noirs avec « Salut à toi », la musique de la boum c’est Grauzone le premier groupe de Stephane Eicher et son frère. Et puis cette reprise de « Le vent nous portera » de Noir Désir par Sophie Hunger à la toute fin. Ces morceaux sont restés puisqu’on a pu avoir les droits. Mais pour le reste du film, il fallait trouver quelqu’un qui fasse le travail, et comme mon producteur connaissait l’agent de Sophie Hunger et que je l’adorais, ça c’est fait très simplement.

C’est là que je pense avoir eu beaucoup de chance, autant avec Céline Sciamma, qu’avec Sophie Hunger, beaucoup de gens qui sont intervenus sur le film ; comme si une bonne étoile s’était posée sur lui. Il y a eu cette simplicité du début à la fin, avec des gens qui ont compris très vite le film que je voulais faire, s’en sont emparés et ont donné plus que ce que je n’osais leur demander.

autour d’un orang-outan orphelin et des peuples premiers qui disparaissent des dernières forêts

Le film est très bien accueilli partout où il est présenté, vous avec une belle année de promotion internationale devant vous. Vous travaillez déjà sur votre prochain projet ?

J’ai commencé avant le démarrage en festival à réfléchir à plusieurs projets, dont un que j’écris. Je le transmettrai ensuite à un scénariste histoire d’avoir quelque chose qui tienne bien la route. C’est autour d’un orang-outan orphelin et des peuples premiers qui disparaissent des dernières forêts. J’ai un titre en tête : « Sauvage« . L’idée est de savoir qui sont les sauvages, est-ce que c’est nous ou ces dernières tribus libres ? Un côté ethnologique comme une base. J’aimerais faire comme avec Courgette, mettre cette problématique engagée à l’arrière-plan, et raconter mon histoire à travers les émotions, et toujours en stop-motion. Et cette fois, on va essayer de le faire en 5 ans et pas en 10 ! (rires)

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La petite bande d’acteurs à l’origine des voix des personnages.

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