The VVitch : Les chants de l’innocence

Bien avant que le film s’annonce, nous sommes plongés dans les ténèbres. Les logos qui se disputent bien vite la paternité de l’objet cinematographique nous semblent n’être rien d’autre que des apparitions fantomatiques muettes. The Witch, « La Sorcière », s’affirme comme un conte populaire de la Nouvelle-Angleterre et c’est donc ainsi qu’il va falloir en prendre possession. Le silence de mort qui sert d’illustration sonore à ce moment là du film, nous prépare évidemment à la suite. Il s’agit d’une premiere œuvre d’un illustre inconnu, mais qui ne devrait pas le rester bien longtemps. Repéré au Festival de Sundance, l’année dernière, où il a obtenu le prix de la mise en scène, Robert Eggers a déjà la réputation d’être un cas à part dans le cinéma des États-Unis d’Amérique. Son précédent travail, dont on connait peu de choses, embrassait la période historique médiévale. Aujourd’hui, son regard se porte sur sa Nouvelle-Angleterre natale, territoire des Sorcières de Salem, au beau milieu du XVIIe siècle. On saura bien assez tôt si cette singularité l’accompagnera par la suite, toujours est-il que son approche du genre le démarque du paysage horrifique, qui après les recherches de Jason Blum, commencent à tourner en rond.

comment l’obscurantisme religieux amène à la psychose

Les productions Blumhouse construisent une réflexion sur l’image contaminée et contaminante à partir de la mémoire des films d’épouvante. Robert Eggers, lui, plonge ses mains dans le nitrate d’argent pour se concentrer sur l’essence du cinéma. C’est à dire la captation de la lumière, de sa diffusion à sa réception, du temps qui traverse le plan, l’enregistrement du mouvement : bref capter la nature même de la vie. Ce qui frappe le spectateur à la vue de The Witch, c’est le refus du cinéaste d’inscrire son œuvre dans l’air du méta qu’avaient amorcé Wes Craven (Freddy sort de la Nuit) et David Cronenberg (eXistenZ) et qui est devenu la norme, jusqu’a sa parodie. On est en face d’un objet qui préfère revenir à la simplicité, utiliser les outils et le langage du cinéma pour se concentrer sur l’humanité de ses personnages. Cette simplicité théorique est la principale force du film qui se base sur un travail de recherche impressionnant concernant la sorcellerie, la sociologie de l’époque et l’utilisation d’un anglais classique qui avait cours à ce moment là. L’intelligence d’Eggers est de se concentrer sur ses personnages, plutôt que chercher les effets de style. Humblement, le cinéaste nous invite à comprendre comment l’obscurantisme religieux amène à la psychose. Le réalisateur évite tout au long du film d’utiliser les béquilles du scénario ou les dialogues explicatifs pour arriver à ses fins. C’est en effet seulement par l’image qu’il réussit à créer en même temps l’angoisse et à projeter à l’écran le danger que représente le manque de complexité du discours religieux. Alors qu’il est de bon ton, aujourd’hui, dans le cinéma de genre de travailler la profondeur de champ, parfois survalorisé par la 3D, Eggers, lui, nous propose un film qui tend à atténuer les perspectives. Que ses personnages soient plongés dans le noir, qu’ils se retrouvent au milieu du bois ou qu’ils se tiennent devant l’immense forêt, tout est matière à aplatir l’espace. De la même manière ce n’est évidemment pas un hasard si des décors, aux costumes l’on perçoit une dominante de gris. L’aspect monochrome du film évoque les dessins ésotériques de William Blake et Gustave Doré. Il n’est pas anodin que le seul plan où la profondeur de champ soit mise en avant représente le départ de cette famille, chassée par sa communauté religieuse. Progressivement, on assiste à la disparition de toutes civilisations, tout autant des colons que des Américains natifs. En posant sa caméra dans la carriole, Eggers utilise l’anse d’une corbeille pour simuler une fermeture de focale. Cet effet typique du cinéma des premiers temps qui conclut la scène est un signe clair qu’à partir de là nous ferons face aux ténèbres.

il s’agit pour lui de décrire un drame familial

Paradoxalement, si par son titre la sorcière est l’élément central du film, celle-ci n’apparaît que très peu dans le long métrage. C’est que sa présence réelle ou fantasmée suffit à pousser chacun des membres de la famille dans ses retranchements, à faire face à leurs névroses voire leurs déviances. Si le département marketing du distributeur cherche à jouer sur la vague de l’horreur, le cinéaste reste intègre devant son œuvre. Eggers ne ment pas à son public, The Witch est un conte et plus que de l’épouvante, il s’agit pour lui de décrire un drame familial et de s’interroger sur le repli et la montée de l’intégrisme aux USA. Il se pourrait bien qu’à l’instar d’un David Robert Mitchell, le genre ne soit qu’un véhicule pour ses préoccupations. Mais tout comme It Follows, The Witch se distingue par l’attitude respectueuse du cinéaste vis-à-vis du B-movie. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que ces deux films d’horreur soient autant les plus iconoclastes et les plus efficaces de ces dernières années. Mitchell cherchait à terrifier son spectateur en puisant de façon très habile dans la culture des jeux vidéo et s’amusant de l’incapacité du cinéphile à contrôler l’action, tout en se servant des codes du game play. Eggers lui va plutôt utiliser l’horreur en revenant aussi bien au cinéma muet (Haxan : La Sorcellerie à travers les âges) qu’à la peinture, de Rembrandt à Francisco Goya. C’est d’ailleurs très vite après le début du film qu’Eggers réussit à saisir d’effrois les spectateurs, suite à la volatilisation soudaine (une disparition du plan, comme seul le cinéma peut nous en offrir) du nourrisson. Dans son antre, la sorcière, entièrement nue, apparaît à la faveur de la lumière des flammes. Alors qu’elle se badigeonne du sang du nouveau-né, nous sommes saisi par les similitudes de la scène avec le Saturne de Francisco Goya. Ce corps âgé, marqué par la vie, se déplace dans la pénombre : Une image effrayante qui hante le spectateur bien après le film. De la même manière, le cinéaste se refuse aux jump scare. C’est à dire, ces séquences jouant sur la surprise, utilisant un montage serré conjugué à des effets sonores brusques. Cet effet de style, devenant avec le temps, la norme. Conjuring 2 en est, malgré tout le bien que l’on pense de James Wan, un bon exemple. S’il faut chercher une influence moderne dans l’horreur, on peut citer Kiyoshi Kurosawa. La mise en scène glaçante du réalisateur étasunien, privilégiant l’amplification progressive de la tension, faisant apparaître à des moments clés la sorcière, rappelle de façon troublante les manifestations spectrales des films du cinéaste japonais. On trouve dans The Witch ce même mélange de cruauté et de poésie présent autant dans Charisma que dans Cure.

The Witch est un premier film prometteur

Loin d’être parfait, The Witch pêche par son utilisation de la musique, certes efficace, mais trop marqué par les expérimentations de Stanley Kubrick pour son Shining. Le réalisateur ne cache, d’ailleurs, pas son admiration pour le cinéaste anglais: Barry Lyndon a notamment influencé le choix de l’artiste pour tourner en lumière naturelle, et à la bougie les scènes nocturnes. The Witch est un premier film bien plus prometteur que honteux et ce long métrage est, également, porté par ses acteurs. Parmi eux, Anya Taylor Joy se détache nettement et offre à son personnage une interprétation complexe et troublante de la jeune fille pieuse et vierge faisant face à sa vraie nature. Par ce qu’elle dégage, il est possible qu’elle se retrouve, sur les castings, en concurrence avec Elle Fanning. En attendant sa dernière apparition dans The Witch, nous rappelle cette citation d’un poème de William Blake « Ma mère gémissait ! Mon père pleurait. Et je bondis dans ce monde dangereux : impuissant, nu et criard ; comme un démon caché dans un nuage. »

 

 

The VVitch de Robert Eggers, avec Ralph Ineson, Anya Taylor Joy, Kate Dickie.

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