L’Avenir : ma pensée ou la leur ?

C’est auréolé d’un Ours d’argent de la meilleure réalisatrice à Berlin que le nouveau film de Mia Hansen-Løve arrive dans les salles, et contrairement à l’avenir de son héroïne, celui de la réalisatrice semble tout sauf compromis. Si elle ne signe pas là son meilleur film, on lui préfère Un amour de jeunesse, elle exorcise avant tout ses peurs qui lui semblent plus profondes. Outre celle de la vieillesse et de la séparation, c’est celle d’un édifice mental qui s’écroule à mesure que les années passent qui préoccupe la cinéaste : quand les idéaux d’une époque semblent oubliés.

En choisissant de faire d’Isabelle Huppert une professeure de philosophie, Mia Hansen-Løve comprend très bien qu’elle pourra jouer sur une tendance de la pensée populaire face à celle de « penser par soi-même » comme aime le dire son personnage. Et point de lutte des classes, contrairement à ce que pensent les étudiants du blocage, au lycée de l’héroïne. Il n’est pas question de prolétaires ou de bourgeois (un reproche souvent fait aux films d’Hansen-Løve), mais simplement de croire en la conviction que la pensée nous est propre et jamais admise par les autres. Ainsi, en seulement quelques scènes, la réalisatrice dessine les contours du reste de son film tout en éclaircissant sa position politique.

Le reste du film est une dégringolade. Non pas qualitative, mais idéologique pour Nathalie, qui doit faire face à la fois à l’abandon de son mari, parti avec une plus jeune, et la déliquescence de sa mère, sombrant dans la démence. Comme écrit sur la copie d’un de ses élèves au début du film, la question est de savoir si l’on peut se mettre à la place de l’autre quand ce genre d’événements nous tombe dessus. Dois-je me mettre à la place de mon mari volage ? Saisir l’abandon que ma mère ressent ? Le désespoir des travailleurs, moi qui aie un travail ? Il s’agit de questions qui semblent constamment revenir dans la tête de l’héroïne, jusqu’à en oublier de penser, de saisir sa nouvelle liberté quand son ancien étudiant fonce à tête baissée dans les plaines du Vercors. Peut-être tout cela est-il affaire de conviction, ce qui expliquerait pourquoi elle semble si perdue, contrairement aux éditeurs littéraires convaincus que la philosophie, ce n’est plus vendeur. Ou bien tout cela provient de l’époque, qui aime croire que les actes doivent nécessairement faire suite à la pensée. Nathalie est entourée de personnages qui agissent de manière presque déraisonné quand elle, reste ancrée dans ses convictions. Ce sont seulement ses élèves qui comprennent la nécessité d’allier sa pensée à la leur, et non pas d’en faire un clivage. Ces conflits générationnels sont la cause de tous les maux, et animent le récit d’une réalisatrice qui reste toujours fidèle à ses références Rohmeriennes. En témoignent la mise en scène extrêmement volatile et les discours prolixes qui l’animent. Isabelle Huppert impose son jeu, apporte cet humour pince-sans-rire qui reflète un certain cynisme.

Ce cinquième film de la réalisatrice représente un véritable changement. Auparavant concentré sur la figure de la jeunesse, c’est celle de la vieillesse qui l’inspire désormais. Et c’est aussi une manière de passer le relais, de dire que peu importe ce que la jeune génération peut penser ou voir, l’important est de créer sa propre pensée (visuelle ici). C’est à la fois un film dramatique et politique. Non pas le dans le sens d’y déceler une idéologie, mais de savoir si l’on doit choisir un camp ou tout simplement les confronter pour mieux les laisser agir en paix, de croire en ses valeurs. Encore une fois, il n’y a pas de camps rivaux, mais des pensées égales, comme on peut le voir dans cette scène où de jeunes auteurs discutent de la question de l’auteur. L’important n’est pas de savoir si l’on est reconnu pour sa pensée, mais de la reconnaître pour soi, avant que l’on ne sombre dans la peur de l’oubli. C’est notre avenir qui est en jeu à travers la pensée.

L’avenir de Mia Hansen-Løve — avec Isabelle Huppert, André Marcon, Roman Kolinka.  1 h 40. Actuellement en salles

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