Apprentice, de Boo Junfeng

Je sais, c’est idiot. Mais franchement, la perspective de faire la queue pour aller voir un film made in Singapour traitant de la peine de mort, j’étais moyen chaud.

Pourtant, auteur du déjà sélectionné sur la Croisette Sandcastle, Boo Jungfeng est un jeune homme au nom très chuchoté par les cinéphiles cannois. Apprentice, son deuxième film, nous raconte l’histoire d’Aiman, jeune gardien de prison prenant un poste dans les geôles les mieux surveillées du pays. En charge d’un quartier déjà sacrément sécurisé, il n’est intrigué que par le seul bâtiment au sein duquel son badge ne lui permet pas d’entrer, celui des condamnés à mort. C’est sous l’aile du bourreau en chef qu’il parviendra à approcher ceux qui vivent leurs derniers instants avant la corde.

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Si j’ai tout de même été attendre comme un blaireau dans les longues files d’attente cannoises pour me fader le résultat de ce pitch à se tirer une balle, c’est parce que je suis un aventurier, déjà, mais surtout parce que je suis un très grand amateur de films carcéraux (sauf Un Prophète, qui est une resucée en moins bien de Oz).

Apprentice n’a pas grand-chose d’un film carcéral comme on les connaît. Mais ça n’est pas très grave, ce qu’il propose étant assez audacieux. Nous ne passerons presque pas de temps avec les prisonniers, juste avec les gardiens et les bourreaux. Avec 5,3 millions d’habitants, Singapour a l’un des taux d’exécution capitale par habitant le plus élevé au monde avec environ quatre cent vingt détenus pendus entre 1991 et 2004, selon Amnesty International. De fait, c’est dans un univers où la peine de mort n’a rien d’exceptionnel que nous voilà projetés, face à ceux-là même qui la mettent en oeuvre.

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Le principal atout du film réside donc dans sa description du métier de bourreau. Très complexe, il nous dresse un portrait extrêmement ambigu et dérangeant de ce rôle, par l’intermédiaire du personnage passionnant de Rahim, « celui qui actionne la manette engendrant la pendaison ». La scène où il décrit le craquement de vertèbres qu’il souhaite susciter en plaçant à un endroit très précis le noeud de la corde, pour que le détenu souffre le moins possible, est à glacer le sang. Aiman écoute sans sourciller, et nous avec. Apprend face à la caméra comment se dédouaner de toute l’horreur qu’il est en passe d’infliger. Le bourreau serait celui qui rend le pire moins pire.

Le film souffre néanmoins – du moins dans un cadre festivalier – de quelques temps morts, notamment dans une intrigue secondaire extra-carcérale qui n’apporte pas grand-chose. Mais il est quand-même une petite claque, et confirme le talent certain de ce Boo Junfeng, très fin metteur en scène, malin dénonciateur, beau cinéaste.


Gaël Sophie Dzibz Julien Margaux David Jérémy Mehdi
[usr 3]

Le tableau des étoiles complet de la sélection à ce lien


2

Un film de Boo Junfeng avec Gerald Chew et Crispian Chan

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1 thought on “Apprentice, de Boo Junfeng

  1. Décidément, je suis d’accord avec vous. Un film complexe, pas tant dans sa forme mais dans son interrogation (ce qui n’est pas négatif). Je n’ai pas arrêté d’y penser durant les heures qui ont succédé la fin de la projection. J’ai été heureux de découvrir les affiches d’Apprentice dans le métro parisiens ces jours-ci, ce film mérite d’être vu.
    Amis lecteurs, FONCEZ !

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