Festival d’Albi, les films #2: théâtre, danse et romanesque

Les Ogres

Les ogres en question sont les membres de la troupe du Davaï Théatre, un théatre itinérant qui présente une relecture musicale et baroque d’une pièce de Tchekhov. Ce sont des personnages inspirés et incarnés par les propres père, mère et sœur de la réalisatrice, eux-mêmes fondateurs et animateurs de l’AGIT-Théatre. Les ogres, c’est l’histoire d’une famille dysfonctionnelle composée par essence de fortes personnalités, d’égotistes, de despotes, de dépressifs et de grandes gueules. Le film de Léa Fehner, qui fait de l’excès son sujet, est très long (2h23), très bruyant (on y trouve de multiples scènes de chant et d’engueulades), très impudique (il faut voir la manière franche et presque brutale dont elle traite les personnages de ses parents) et parfois épuisant : il ressemble en fait à un cousin français des œuvres réussies d’un Kusturica, Chat noir chat blanc en tête. Comme les (bons) films de l’utopiste serbe, Les Ogres tire justement de ces excès une force, une énergie vitale qui sont, pour la réalisatrice, nécessaires afin de dépasser la douleur humaine, celle de la perte d’un enfant par exemple. Si l’on est parfois gêné par la manière dont le film semble excuser le comportement de certains de ses personnages – sous prétexte que nous avons là affaire à des bons vivants -, il ne faudrait pas mettre de côté ce que le film raconte réellement : la répercussion d’un mode de vie sur la manière dont ces personnages peuvent appréhender le monde. Coupés de la réalité ordinaire, ils sont condamnés à hurler d’une même voix leur désespoir et leur joie de vivre. Si la mise en scène, à base de caméra portée tourbillonnante sous chapiteau, peut parfois lasser par son systématisme, la direction d’acteurs, elle, impressionne par sa manière de mêler le vrai et le faux, les comédiens de théatre (François et Inès Fehner, Marion Bouvarel) et les acteurs de cinéma (Adèle Haenel, Marc Barbé, Lola Dueñas) : tous parviennent à incarner en quelques instants des personnages complexes, tout en recréant une troupe éphémère qui existe réellement le temps du film. Un film souvent triste, parfois drôle, au récit tout à la fois ample et dérisoire, et qui envoie balader toute notion de politiquement correct – ce qui fait du bien.

Les Ogres, de Léa Fehner. Avec Marc Barbé, François Fehner, Adèle Haenel, Marion Bouvarel, Lola Dueñas, Inès Fehner. Sortie le 16 mars 2016.

Elektro Mathematrix

Chorégraphe connue du monde entier (sauf de moi), Blanca Li crée en décembre 2010 le spectacle Elektrokif, avec une troupe de huit jeunes danseurs issus de l’univers de la danse electro – danse que, lors de son apparition en 2007, les médias snobinards appelaient en ricanant la tektonik. Après 4 ans de tournée mondiale, la troupe décide de conserver une trace de son travail et la chorégraphe réalise cet Elektro Mathematrix qui est donc une adaptation filmée (avec ajout de danseurs) du spectacle précédant. Le film ne rentre dans aucune case puisqu’il ne s’agit ni d’un documentaire, ni d’une « comédie musicale » au sens traditionnel du terme : bien que racontant une journée ordinaire dans un lycée, il ne comporte pas de véritable dramatisation, pas plus que de dialogues. On a affaire ici à une sorte de « fiction dansée », dans laquelle chaque activité lycéenne (cours de math, atelier soudure, match de basket…) est prétexte à un déchaînement d’énergie juvénile et de rythme syncopé. Les jeunes danseurs sont excellents, et la musique (qui prend pour base les différents sons créés dans les décors du lycée) parfaite. La mise en scène des chorégraphies reste toujours simple et fluide, avec pour objectif principal de suivre avec clarté les mouvements des danseurs, individuellement comme en groupe. Avec comme morceaux de bravoure une scène d’accalmie dansée sur un piano mélancolique, et une battle finale exubérante, Elektro Mathematrix est un film trop frais.

Elektro Mathematrix, de Blanca Li. Avec Khaled Abdulahi « Cerizz », Arnaud Bacharach « Nino », Mamadou Bathily « Bats ». Pas de date de sortie à l’heure actuelle.

Marguerite et Julien

Il n’est rien de dire que la critique n’a pas été tendre avec le nouveau film de Valérie Donzelli lors de sa présentation à Cannes, en sélection officielle. A découvrir le film aujourd’hui, la violence de certains articles peut surprendre, surtout au regard du reste de la compétition : des « auteurs » tels que Jacques Audiard et Stéphane Brizé semblent ainsi bénéficier, aux yeux de la critique – et malgré leurs nouveaux films au style lourd et à l’éthique douteuse -, d’une bienveillance acquise au gré de leurs films précédents. Ce ne serait donc pas le cas de Valérie Donzelli, dont La Guerre est déclarée avait pourtant déclenché l’enthousiasme général en 2009. Pourquoi cette différence de traitement ? Regardons le film afin d’y voir plus clair. Déjà, tout le monde l’a noté, il s’agit d’un conte « à la Demy » : l’histoire est mise en abyme, les époques se mêlent, les sentiments sont éternels et le romanesque domine, installé dans un château normand. Mais Marguerite et Julien, pourtant adapté d’un scénario de Jean Gruault écrit pour Truffaut, ne suit pas vraiment les codes du romanesque truffaldien, plus historiquement correct. Donzelli tente en fait de trouver une voie nouvelle pour raconter son histoire, et c’est sans doute en premier lieu cet absence de convention qui a gêné, dans une époque où l’on ne jure que par le « réalisme social » à la Dardenne, l’apathie narrative et la compassion feinte pour les classes dominées. Il y a ensuite le personnage de Marguerite de Ravalet, incarné par une Anaïs Demoustier qui domine largement son partenaire par l’inventivité dont elle fait preuve : sa conscience du pêché, de la faute sociale, sa passion dévorante, son aliénation la désigne comme coupable idéale pour elle-même comme pour le spectateur, révélant ainsi le sexisme tapi dans l’ombre, en chacun de nous. En télescopant les époques, Valérie Donzelli veut surtout faire un portrait de femme, librement et différemment amoureuse, en lui donnant une portée contemporaine. Ceci est encore un mauvais point pour elle apparemment. Enfin, on a reproché au film son absence de souffre dans le traitement d’un sujet tabou. Or, la forme du conte le dit bien, le projet de la cinéaste est clairement de raconter cet amour interdit comme une malédiction, certes, mais une malédiction heureuse : la naïveté et la simplicité des personnages empêche toute trace de perversité d’envahir le récit. Voilà différents aspects qui ont probablement signé le désamour de la critique envers un film que par ailleurs et en toute objectivité (sic), on peut difficilement considérer comme mauvais. Comme on l’a dit, Anaïs Demoustier est parfaite et fait constamment évoluer son personnage, de manière fluide et stylisée ; le scénario est bien construit, souvent malin dans ses décalages et références, et les personnages sont consistants. L’univers de conte fonctionne plutôt bien et la musique aussi. Il est vrai que la mise en scène, un peu désordonnée, manque parfois de souffle dans les moments clés (par exemple la fin tragique des personnages) ; Il est vrai aussi que le point de vue sur ces mêmes personnages (héros de légende racontés aux petites filles, que l’on approche pourtant au plus près de leur intimité) n’est pas toujours bien défini. Il est vrai en somme, et malgré plusieurs moments de grâce, que Marguerite et Julien n’est pas un film totalement réussi, totalement libre et sauvage comme l’aurait voulu sa réalisatrice. Mais ses défauts sont ceux d’un cinéma qui tente, qui ose, qui cherche de nouvelles et toutes personnelles pistes de narration, de nouveaux univers. Depuis quand rejette-t-on l’audace et le risque d’un véritable questionnement artistique, au profit de la maîtrise supposée de faiseurs tristement « professionnels » tels que Audiard ou Brizé ? Il est vraiment dommage d’en arriver là.

Marguerite et Julien, de Valérie Donzelli. Avec Anaïs Demoustier, Jeremy Elkaïm. Sortie le 02 décembre prochain.

Peur de rien

On a malheureusement raté Peur de rien, de Danièle Arbid, mais on signale ici qu’il a obtenu le Prix de la presse étrangère Les Lumières au festival d’Albi. Du coup, on ira le voir lors de sa sortie, le 10 février 2016.

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