Pauline s’arrache (la tête dans les étoiles)

Certes, nous avons, en France, le seul système de production cinématographique permettant de contrer le rouleau compresseur hollywoodien, mais aussi les attaques néolibérales des instances de Bruxelles ; cependant, notre cinéma est en crise. Il est vrai qu’il y a des choses à revoir étant donné la trop forte pression de la télévision sur le cinéma, vomissant parfois des objets tels que Connasse. Il est vrai que l’assemblage avait tout d’artificiel, et il faut reconnaître que les Cahiers du Cinéma, il y a deux ans, ont su mettre en avant un patchwork de cinéastes, plus ou moins intéressants, mais en tout cas pleins d’avenir. Il était, par contre, prématuré de parler de nouvelle vague homogène après avoir vu des films aux univers aussi différents que Les rencontres d’après minuit, La bataille de Solferino, La fille du 14 juillet ou Un monde sans femmes ou Donoma. Pourtant, difficile de ne pas reconnaître qu’ils ont su mettre en avant un cinéma français en marge du système, et qui bien souvent est né sans aide particulière. Il est au final regrettable que cela soit dans les marges que le cinéma français ait réussi à montrer sa créativité, puisque cela donne aux ennemis du système français pas mal d’arguments en leur faveur. Pour autant, ces cinéastes ont su profiter de cette reconnaissance pour montrer leur attachement à ce système original, quand bien même ils n’ont pas forcément réussi à en profiter. Aujourd’hui, tous ces noms popularisés par la revue historique ont pu remettre le pied à l’étrier, et trouver auprès des télévisions et de l’État toutes les aides dont ils ont eu besoin.

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Plus intéressant encore, est le cas de Justine Triet. Si l’on a été bien seul à émettre de petites réserves vis-à-vis de son premier long métrage, force est de constater qu’elle est aujourd’hui à la tête d’une famille de cinéma pour le moins intéressante. Autour d’elle, gravitent autant Vincent Macaigne, la star du cinéma français nouvelle génération, que l’excellent Virgil Vernier ou la sensible Émilie Brisavoine. Tous étaient présents dans la Bataille et tous ont su montrer, depuis, leur créativité.

C’est aujourd’hui au tour d’Émilie Brisavoine d’exposer sa première œuvre. On sent assez vite une filiation entre ses désirs de cinéma et ceux de Triet et Vernier. Cette envie de transformer la réalité en spectacle. Mais là s’arrête la comparaison. L’idéal de Triet est d’entrechoquer fiction et réalité, jusqu’à l’artifice. Pour Vernier qui filme dans les conditions du documentaire, c’est une transformation quasiment totale de la réalité pour l’amener vers un univers fantastico-politique. Brisavoine, elle, modestement cherche une voie qui lui est propre, celle de la poésie et du conte de fées. Pourtant, de ces trois cinéastes, c’est celle qui se confronte le plus au genre documentaire. Pauline s’arrache, son film, n’est rien d’autre qu’un film de famille. La sienne. C’est dans la forme que la fiction s’impose sur la réalité. Sous quelle autre forme que celle du conte de fées était-il possible d’évoquer l’incroyable portrait familial ? Pauline, c’est la demi-sœur d’Émilie, elle a 15 ans. Pour retranscrire cette période fantasque, où tout se transforme en soi et autour de soi, la féérie est une très pertinente façon d’aborder l’adolescence. Quant on sait, également, qu’il s’agit d’un montage de chutes de vidéos témoignages, qui n’avaient au départ pas vocation à donner à un film, la forme du conte se trouve le meilleur choix possible. En revenant sur ces images passées, Brisavoine déterre un trésor fantastique qu’elle raconte au présent, évoquant les brèches et autres blessures d’une famille ordinaire dans tout ce qu’elle a d’extraordinaire. Avoir une reine de la nuit comme mère et un père dont le métier est de se travestir, semble à première vue iconoclaste, et donne matière à se faire des films. La vie étant pour eux une fête. La réalité est plus sensible et grave. Les blessures dont furent victimes les parents ont fini par avoir des conséquences, certes moins graves, sur leur progéniture. Ce sont ces fêlures qui intéressent la réalisatrice. Elle parvient à les retranscrire d’une bien jolie façon. On ne remerciera jamais assez l’ACID de programmer chaque année ce genre de petite trouvaille, qui l’air de rien, participe à diffuser toujours autant d’espoir dans le paysage cinématographique français. Et ce malgré les difficultés, les attaques des uns et des autres, ou tout simplement les gros sabots, d’un certain cinéma populaire qui n’aurait, dans un monde meilleur, sa place qu’à la télévision.

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Pauline s’arrache, d’Émilie Brisavoine avec à l’écran : sa famille. (2015)

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