L’arbre aux sabots : Voyage en Italie rurale

On critique souvent, de manière caricaturale et injuste, le festival de Cannes pour récompenser des films longs et peu attirants au premier regard. C’est pour cela que dans le cadre de cette série d’articles sur les Palmes d’or, j’ai choisi de casser les préjugés en vous parlant de L’arbre aux sabots, film de trois heures en patois italien sur la vie de familles d’agriculteurs.

Ermanno Olmi a remporté cette palme en 1978, alors que dans la sélection officielle figurait pour la première fois un certain Nanni Moretti qui ne remportera la palme qu’en 2015. (Cet article ayant été écrit avant la cérémonie de clôture, vous venez d’assister à un audacieux coup de poker sur laquelle reposera la future crédibilité de son auteur). Alors est-ce une Palme méritée ? (oui)

Le film nous emporte donc au cœur du quotidien de familles d’agriculteurs vivant ensemble dans une grande ferme. Tous leurs gestes et rituels nous sont montrés en détail (l’égorgement du cochon est une scène mémorable) et le temps de la vie rurale finit par nous engloutir. Le film ne pouvait pas durer moins longtemps, il faut que le spectateur soit immergé dans le quotidien de ces paysans pour que l’émotion que porte le film le touche. Les acteurs non professionnels et l’utilisation de la langue bergamasque renforcent l’aspect de peinture naturaliste qu’affiche L’arbre aux sabots. On ne peut alors que penser à la vague néo-réaliste du cinéma italien ; à De Sica et à Visconti. Cependant le regard d’Olmi semble moins préoccupé des enjeux sociaux que ses illustres aînés. C’est avant tout un témoignage que l’on sent sincère et nostalgique que nous livre ce film. Portée par la musique aussi discrète qu’efficace qui sert de liant entre les scènes et semble matérialiser le temps qui passe lentement sur ces familles, l’intrigue se déploie délicatement, au rythme des travaux de la ferme.

Qui sème les graines

A travers ces morceaux de vie que capte Olmi, se dégagent cependant quelques éléments d’altérité qui conduisent au dénouement. Une autre vie existe au-delà de la ferme. Les propriétaires, aux préoccupations bien différentes vivent à proximité. Les notes jouées au piano par le fils aux beaux habits semblent, grâce à un habile montage, tomber sur la ferme endormie comme les flocons de neige sur les terres du domaine.  Un voyage de noces sera l’occasion pour deux jeunes amoureux de découvrir la vie romaine comme un autre monde dont l’existence semble à peine concevable. Enfin, le petit garçon dont le rôle est au cœur du film, est à la limite de ces mondes. Brillant à l’école, il est encouragé à poursuivre ses études plutôt que de se mettre aux travaux de la ferme. Cette possibilité de changer d’environnement aura des conséquences pour sa famille, notamment à cause du fameux arbre à sabots. La bulle que constitue cette grande ferme devient alors beaucoup plus fragile. On comprend que le regard d’Olmi n’est pas seulement tendre, il est aussi inquiet. Car le rythme circulaire et régulier des saisons et des activités de la ferme est toujours finalement détruit par la linéarité cruelle du temps long.

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