50 Nuances de Grey : bien plus cucul que cul

Je ne serais pas totalement honnête avec vous si je vous disais que jamais je n’avais été traversé par une envie que je qualifierais volontiers d’assez perverse, de voir mis en images ce qui en bouquin fait fantasmer 50% de mes contacts Facebook depuis quelques années maintenant. Pour deux raisons.

– D’abord, ça m’évite de lire le livre, parce que je n’aime lire que des bouquins trop intelligents pour les curieux du métro parisien. Si, vous les connaissez, ces gens qui se contorsionnent pour voir la couverture de ta lecture, et parfois même en viennent à te lâcher un agaçant « Alors, c’est comment ? ».

– Ensuite, j’ai une carte de fidélité chez Leroy Merlin qui ne m’a jamais servi et que j’aspire à mettre à contribution si l’éveil aux plaisirs sadomasochistes de l’héroïne me donne des idées.

"Pour que vos envies prennent vie"
« Et vos envies prennent vie »

Alors, lorsque je me suis assis dans cette salle sombre, c’était, autant la jouer franc jeu avec vous, pour voir de la fesse.

Anastasia, la vingtaine, se rend en interview chez Christian Grey, qui est manifestement un patron, puisqu’il travaille dans un grand immeuble, porte des costumes, et se déplace tantôt en voiture de luxe, tantôt en hélicoptère – bonne idée pour éviter de se taper le périph quand tu rentres aux heures de pointe. Là-bas elle découvre un ténébreux gaillard à deux expressions faciales et aux mœurs peu communes. De leur rencontre naîtra un contrat – l’enjeu du film étant de savoir si la demoiselle le signera ou non – qui aboutira à une relation sado-masochiste.

Bon.

Le package est prometteur, mais dès son ouverture, le film part sur un faux rythme. A l’image de la façon dont un mauvais film d’horreur est construit, il passe sa première demi-heure à promettre des choses, en l’occurrence du cul, des fouets, de la tension sexuelle, des seins, déjà arguments de vente.

La tension sexuelle voulue par la réalisatrice émanant des deux personnages est totalement annihilée par un acteur nullissime, sorte de Fassbender low-cost. En face, Dakota Johnson se débrouille tant bien que mal pour donner du relief à son personnage sur le papier si gnangnan. Le beau gosse aux abdos mastoc inexpressif et l’intello vierge et fragile : voici donc les standards de beauté du 21e siècle.

Et l’on passe donc les 35 premières minutes à imaginer l’équipe de production réfléchir à comment rendre compte de cette putain de tension sexuelle avec leur gros portefeuille et leurs Barbie et Ken d’acteurs. Donc on voit les tourtereaux se regarder en se mordillant les lèvres dans un hélico, dans une Porsche, dans un appart de luxe, dans des bureaux gigantesques, etc. Ca ressemble à une pub pour du parfum, mais sans musique de Parov Stelar dedans. On s’emmerde ferme, avec néanmoins toujours dans un coin de la tête la promesse de la fesse.

Mais quelques idées agaçantes nous viennent à l’esprit au fur et à mesure que l’ennui nous noie. Pourquoi finalement sommes-nous dans cette salle ? N’est-ce pas là le fruit de la promotion la plus habile de tous les temps ? Ne sommes-nous pas, nous qui pourtant nous réclamons du haut du panier, snobinards de critiques que nous sommes, les victimes d’un buzz parfaitement orchestré ? On gigote en tout cas sur son siège avec la gênante impression du clic de trop, celui qui nous a fait atterrir sur un site avec un top 10 des animaux qui ressemblent à Michel Houellebecq.

Mais on se console en s’accrochant à la promesse du début, à la promesse du marketing, à la promesse de la fesse, refusant de croire en l’Hollywood censeur, en l’Hollywood pudibond, ayant foi en le cinéma, en le sadomasochisme, en les 50% de ses contacts Facebook.

Et lorsque le moment fatidique du cul arrive, on en est à 43 minutes environ de simili-Feux de l’Amour. J’ai regardé ma montre dans l’optique de vous donner cette donnée chiffrée, ce qui a posteriori était une idée de merde, mais que je me dois d’utiliser ici, ne serait-ce pour me justifier qu’il n’était pas vain d’emmerder avec ma lumière de téléphone ma voisine toutes les 3 minutes.

A 43 minutes, donc, le héros dit vouloir « montrer sa salle de jeux » à sa dulcinée. Dedans, pas de Trivial Poursuit mais des menottes, des fouets, des cravaches, et des règles à suivre. Elle se mettrait en culotte devant  la porte lorsqu’il le lui demanderait et obtempérerait sans rechigner à ses désirs les plus salaces. L’histoire ne nous dit d’ailleurs pas ce qu’il se passe si le monsieur demande à la dame de faire une partie de Trivial Poursuit.

Bon.

Au fur et à mesure que les scènes « érotiques » défilent devant mes yeux, je peine de plus en plus à me convaincre qu’elles ne sont pas encore celles dont 50% de mes contacts Facebook disent qu’elles sont trop-hot-tu-vas-voir. Tantôt un sein, tantôt une fesse. Un petit cri de temps en temps, pour une caresse sur le dos. Et des lèvres pincées, beaucoup de lèvres pincées.

Un Oscar du montage serait tout de même mérité pour celui qui, à chaque fois, s’est astreint à couper avant les poils pubiens. Observer le rendu de son méticuleux travail devient un jeu. Jamais on ne verra la moindre pilosité, la moindre rougeur causée par les coups. Du film on ressort plus convaincu que jamais du pouvoir érotique des mots, n’imaginant pas que ce sont les scènes telles qu’elles sont montrées ici qui ont émoustillé tant de lecteurs à travers le monde, plutôt des images fantasmées par le biais des mots.

La scène la plus hot du film
La scène la plus hot du film

On ne rit finalement même pas du tiédasse rendu, en sortant berné, ronchon. Lorsque les lumières se rallument, on est pris d’un besoin immense de revoir Nymphomaniac. De reprendre confiance en la perversion-la-vraie, celle que l’on n’ose regarder qu’à demi-yeux. Qui excite autant qu’elle dégoûte. Qui excite parce qu’elle dégoûte ? Qui excite parce qu’elle questionne.

50 Nuances de Grey, de Sam Taylor-Wood avec Jamie Dornan et Dakota Johnson – En salles

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