Le Fol Espoir au Cinématographe

L’histoire des Naufragés du Fol Espoir commence au théâtre.

Le Théâtre du Soleil présente sur les planches en 2010 un spectacle collectif, dirigé par Ariane Mnouchkine, co-écrit par Hélène Cixous, inspiré de Jules Verne. De grands noms réunis à la création d’une pièce de 4 heures, dont on comprend qu’il y aura un avant et un après spectacle, à entendre ceux qui l’ont vu en parler.

Si Mnouchkine choisit d’adapter la pièce plus que d’en faire la captation, c’est parce qu’elle sent là, indéniablement, un moyen ultime à rendre éternelle l’aventure de quelques âmes infiniment précieuses. Dans la guinguette du Fol Espoir, une équipe de cinéma tourne le récit du monde avant la 1ère Guerre Mondiale. L’imagination est sans limite, tout devient possible, alors leur caméra enregistre la haute bourgeoisie, des bagnards, des socialistes utopistes, des féministes… autant d’hommes et de femmes profondément différents et pourtant réunis autour d’une grande espérance, celle d’un monde nouveau, de ce XXe siècle en marche rempli de promesses, de justice, de progrès.

Le cinématographe entre leurs mains, ils filment vent et tempête, amour et désespoir, miracle et tragédie avec ce sentiment extraordinaire de ne jamais séparer le devant et le derrière de la caméra, qui ne fonctionne qu’ensemble. Les acteurs sont auteurs, les penseurs sont faiseurs, les rôles sont démultipliés de façon à ce que jamais personne ne puisse s’échapper de l’action. Cette énergie du débordement n’éclate pas aussi vigoureusement à l’écran que sur scène. Si au théâtre la quasi omniprésence d’une vingtaine de comédiens répandaient dans tout le public des ondes de chocs, tant heureuses que malheureuses, l’immersion peine à se réactiver dans le film. Le montage, très découpé, alourdi par de nombreux inserts, nous détourne de l’essentiel : vibrer à l’unisson avec le plus pur enthousiasme ; celui de l’urgence de la création. Nous aussi, à grands pas, hissons les voiles du Fol Espoir, partons sur les rives de ce monde meilleur à l’horizon auquel – lorsque Gabrielle tourne la manivelle du cinématographe – tout le monde croit.

Si nos Naufragés se sentent à l’étroit dans cette version cinéma, la composition des plans s’évertue à leur rester fidèle. Il y aura toujours un comédien se pressant de courir de droite à gauche du cadre, qui se hâtera pour déclencher à temps la machine à fumée, qui au dernier moment pensera à remettre la toile à sa place, éteindre la lumière, remettre de la neige sur la rampe, sortir la cruche à lait du décor, replacer dans l’axe le bureau… La fourmilière s’agite dans cet enthousiasme grandiose jusqu’au bout, tenu par l’impitoyable exigence de Mnouchkine.

Si l’adaptation de ces Naufragés n’est pas la signature d’une cinéaste, elle est la signature d’un génie qui brille envers et contre tout, qui atteste d’une foi inébranlable au pouvoir de l’Art à changer le monde.

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