Mad Men / saison 7, 1ere partie : hippies, whisky et déception

AMC nous a refait le coup du final de Breaking Bad et a décidé de couper cette saison de Mad Men en deux. Si Breaking Bad s’en était bien tiré, ce format ne peut en aucun cas marcher pour Mad Men, car cette série a besoin de la longueur pour être subtile. Matthew Weiner, en différant la résolution des intrigues et le traitement des révélations, laisse s’installer des non-dits entre les personnages et le spectateur. Il ne propose pas tout de suite de dénouement aux questionnements psychologiques mais les règle sur le long terme, comme pourrait le faire une personne réelle lors d’une psychanalyse. Le traitement du temps est donc un enjeu majeur pour ce show qui a besoin d’un minimum d’épisodes pour se déployer. Le créateur a malheureusement pris le parti de conclure, non pas sur les problématiques intimes développées sur sept années, mais sur la progression narrative. Cet enchainement d’actions en accéléré donne une impression de précipitation. A peine est-on installés devant cette saison sept, qu’elle est déjà terminée. On commence à accepter que Don ne soit plus que l’ombre de lui-même, mis à pied, mentant à sa femme Megan, et pfiou, il a déjà retrouvé son boulot, arrêté de boire et essayé d’être humble. D’ailleurs, cette saison ressemble à s’y méprendre à une conclusion très scolaire de dissertation, où la première partie serait une synthèse des éléments développés jusqu’à maintenant, laissant présager que la deuxième partie sera consacrée à une ouverture générale. Le problème est que cette synthèse impose un résumé, et donc reprend des thèmes que l’on a déjà vu. Et tout ça sent le réchauffé. Comme d’habitude, Don échoue souvent, surtout dans son mariage, Betty n’est pas une bonne mère, Peggy a du mal à faire sa place parce qu’elle est femme. Sacrilège, faute de développer leurs états d’âme, certains personnages adoptent même des comportements caricaturaux, le meilleur exemple étant Sally, l’un des plus émouvants de la série, qui traverse une crise d’adolescence carabinée. Roger, lui, ne sachant plus comment choquer, en est réduit à vivre en ménage à trois avec une hippie bien plus jeune que lui.

Sur le plan de l’ambiance, la magnifique saison 6 avait amorcée un changement bienvenue avec la ville de Los Angeles. Ce nouveau décor amenait une bonne dose d’exotisme, tout en correspondant mieux à l’image que l’on se fait des années 60 : Hollywood débridé, couleurs partout et soirées drogue autour de la piscine. Un dépaysement, qui en plus de nous sortir des petits appartements sombres de New-York, était l’écho des bouleversements qui s’opéraient dans la vie des personnages, avec ce que la difficile gestion d’une nouvelle boîte en pleine ascension apporte en challenges à relever. Sur le plan narratif, Los Angeles est toujours significatif cette saison. Lieu ambivalent, il symbolise l’échec pour certains, comme pour Ted qui déprime, la libération de l’individu face aux carcans moralisateurs de New-York, avec Pete Campbell et Harry Crane qui s’éclatent, ou encore les faux-semblants, puisqu’il accueille les tentatives de bonheur factice de Megan et Don. Ces nombreux allers-retours entre les nouveaux bureaux de Los Angeles et ceux de New-York, aurait pu servir le show du point de vue de la mise en scène en créant, par des effets d’alternance, un rythme soulignant les antagonismes des protagonistes, approfondissant encore les rapports entre les êtres. Mais ces déplacements sont finalement assez peu exploités. Et quand ils le sont, ce n’est pas toujours fin : l’avion est principalement un lieu de drague et de cul. Qu’on soit d’un bout à l’autre de l’Amérique, on vit à l’intérieur et c’est partout pareil. Nous montrer que Los Angeles, passé la première fascination mise en scène dans la saison 6, ressemble trait pour trait à New-York aurait pu être une idée intéressante, si elle était vraiment approfondie. Le problème est, ici encore, le temps dévolu au développement de la saison. Pour tenir dans les sept épisodes, c’est le personnage de Don qui est quasi-exclusivement traité, ainsi que l’étiolement de sa relation avec Megan, partie vivre seule pour sa carrière à Los Angeles. On laisse de coté le reste : Peter et surtout Ted, qui est le personnage qu’on verra le moins cette saison. Sa dépression, sa volonté de se reconvertir et son incapacité à s’adapter dans un monde nouveau symbolisé par la ville passent à l’as.

Mad-Men-Season-7-Betty

La fin de la saison, quant à elle, est recentrée sur les valeurs traditionnelles de l’Amérique. Malgré l’échec de tous les personnages dans leur vie personnelle, ceux-ci sont parvenus à se créer une nouvelle famille au sein de l’entreprise sans s’en rendre compte. Jolie idée, si pour nous le montrer Weiner ne s’appuyait pas sur la publicité sirupeuse réalisée par l’agence pour une chaîne de fast-food. Dire que la famille se transforme mais qu’elle existe toujours fait pencher la série vers un traditionalisme nouveau pour elle. D’ailleurs, elle n’avait jamais eu la volonté d’être progressiste non plus. On a beaucoup présenté Mad Men comme une étude sociologique critique des années 60. Si on se penche de près sur la série, on se rend compte que la seule chose qui relève d’une peinture de l’époque passe par la reconstitution. Matthew Weiner est connu pour sa maniaquerie du détail qui rajoute au charme vintage de la série et participe à son succès outre-atlantique. Mais il y a finalement assez peu d’éléments  qui vont dans le sens d’une quelconque analyse sociale, politique ou historique. On y trouve quelques exotismes, certes, avec les hippies, le whisky, les jolies secrétaires… mais lorsque la série parle de l’époque, c’est plutôt par petites touches évocatrices, en filigrane. Les évènements historiques ne sont traités que par la télé, et jamais évoqués (ou très peu) entre les personnages. Dans cette septième saison, qui se déroule pendant l’année 1969, il est question d’Armstrong et de la lune, mais vécu de manière très quotidienne : la réussite de cette entreprise jouera ou pas sur le moral du client. La critique de l’époque n’est donc pas un thème important. Mad Men fait plutôt l’analyse précise de caractères sur une longue période, à savoir une décennie, qui sont parfois influencés par le contexte social et l’actualité. C’est une sorte de naturalisme des sentiments, où la longueur est nécessaire pour une dissection précise des émotions humaines. On est pas très loin des expériences littéraires menées par Balzac ou Zola au XIXème siècle. Cette volonté de montrer une évolution intime sans parti pris, ni condamnation morale d’aucune sorte, fait que la série n’avait jamais été traditionaliste ou progressiste. Se centrer sur les personnages mettait plutôt en avant un individualisme exacerbé et inévitable, dû à la difficulté de partager ses émotions. Individualisme menant souvent à la mélancolie et la solitude, tout en étant nécessaire pour garder ses espaces de liberté dans l’intimité. Tout cela sied très mal à l’iconographie américaine de la famille développée dans la saison sept. Elle est bien trop simpliste pour conclure l’ambitieux projet qui a été commencé il y a six ans.

Pourtant, cette saison 7 comporte aussi de bonnes choses, comme justement sa manière d’évoquer les transformations du siècle. Par exemple l’introduction de la peur des nouvelles technologies, incarnée par un nouvel ordinateur, filmé comme Hal dans 2001 l’Odyssée de l’espace. Cet objet qui mènera l’un des personnages à la folie, annonce un changement dans les mentalités et une transformation radicale du travail, qui touchera la publicité de plein fouet. L’autre chose intéressante est la manière, l’air de rien, d’annoncer la tranquille émancipation des femmes, très bien illustrée par l’histoire de Megan. Ce ne sont pas les tentatives de sabordages habituelles de Don qui vont mener à la rupture, mais le fait qu’elle se soit habituée à son indépendance à Los Angeles, ne souhaitant plus bénéficier d’une forme de patriarcat imposé par son mari. On ressent parfaitement ce décalage entre eux lors des visites de Don qui, dans son costume trois pièces au milieu d’une soirée hippie, semble être l’archétype du mâle moralisateur sorti d’un autre siècle. C’est aussi de cette émancipation que Weiner souhaite parler lorsqu’il fait évoluer radicalement Joan. Une fois qu’elle a obtenu une double promotion, associée et comptable, elle devient un homme comme les autres et non plus l’employée maternante qu’elle était. Son nouveau but est de gagner de l’argent pour mettre son fils à l’abri. Malheureusement le changement de caractère est trop abrupt pour être vraiment crédible. On constate également une évolution de Betty, certes mineure mais assez novatrice : au-delà du fait d’admettre qu’être mère est difficile pour elle, elle semble s’apercevoir qu’elle n’aime tout simplement pas (élever) ses enfants. Ces évènements, qui sont les mieux traités par Matthew Weiner, donnent l’impression qu’il s’est concentré sur les bouleversements de la fin de ces années 60, l’annonce d’un changement radical et d’une page qui se tourne, contrairement à d’habitude, où l’intérêt premier est l’évolution des personnages. Ce changement dans l’équilibre du traitement évènements/personnages vient-elle de l’impossibilité de conclure l’étude des comportements et de la psyché humaine avant la mort de ses cobayes ?

Tout ça pour dire que la rapidité du traitement des évènements, imposée par un choix marketing n’a pas permis à Matthew Weiner d’être aussi subtil que d’habitude. Espérons que l’une des meilleures séries de cette décennie, qui a tant renouvelé la manière de raconter une histoire, aura droit à un final à la hauteur de ce qu’elle nous a donné depuis sept ans, et que les huit derniers épisodes l’année prochaine soient de vibrants adieux.

Mad Men / saison 7, 1ere partie. Série créée par Matthew Weiner. Avec Jon Hamm, Elisabeth Moss, Vincent Kartheiser, Christina Hendricks. USA, 2014.  7×47 min. La première partie de la saison 7 a été diffusée sur AMC entre le 13 avril et le 25 mai 2014.

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