Octobre 2013 : la ville coréenne de Busan accueille, comme chaque année, son propre Festival International du Film, l’un des plus importants du continent asiatique. Parmi les trois cents films diffusés au cours des dix jours du festival, un film israélien, Big Bad Wolves, fait rapidement parler de lui. Personne ne l’a vu, personne ou presque ne connaît les deux réalisateurs en dehors des frontières israéliennes (en plus d’avoir des noms très pénibles à orthographier, Aharon Keshales et Navot Papushado n’ont qu’un seul film à leur actif). Mais très vite les producteurs se frottent les mains : ils ont décroché le pompon. Un prix? Absolument pas. Encore mieux : Quentin Tarantino est dans la salle, et il a adoré le film. C’est même le meilleur de 2013, confie-t-il dans une interview. Ça y est, l’affiche promotionnelle est prête, le fournisseur le plus prolifique de taglines promo est venu donner son coup de pouce.
Juin 2014 : huit mois plus tard, Big Bad Wolves et son titre à faire frétiller les fans de Dr Who devant leur écran sort sur les écrans français, l’occasion de vérifier si le film est à la hauteur. Une petite fille disparaît au cours d’une partie de cache-cache avec ses amis. Un suspect, un instituteur, est arrêté. L’interrogatoire dégénère. Le policier en charge de l’enquête (interprété par Lior Askhenazi, vu dans le Footnote de Joseph Cedar) est suspendu et cherche dès lors à rendre justice lui-même. Pendant ce temps, le père de la jeune fille disparue, militaire retraité du Liban, se met en tête de châtier le principal suspect. Trois histoires liées, trois destins qui se confrontent : le cocktail explosif finit évidemment par leur péter à la figure.
En tout cas, on comprend assez rapidement en quoi ce film israélien a tapé dans l’oeil de Quentin. Mais pas uniquement, tant les influences que revendiquent Keshales et Papushado sont nombreuses (les deux hommes sont par ailleurs critiques cinéma). Dans une veine tarantinesque, le goût pour la violence graphique se marie avec un scénario empruntant à la forme la plus pure possible de série B. En extrapolant un peu, on ne s’étonnera d’ailleurs guère du choix de la charte graphique de l’affiche française, aux contrastes jaune et noir. Si Big Bad Wolves avait été un livre, nul doute qu’il aurait garni les rayons de la collection Série Noire. La cruauté froide qui émane des longues scènes de dialogues et le sentiment d’inéluctabilité tragique nous conduit quant à lui sur le terrain des frères Coen de Fargo ou A Serious Man. Quant à la violence graphique de certaines séquences de torture, difficile de ne pas penser à certains films coréens, le Old Boy de Park Chan-Wook en tête.
Un ensemble cohérent, diablement séduisant mais qui constitue en fin de compte la principale limite du film, qui se borne à réciter sa leçon de manière appliquée mais sans génie. Il constitue une sorte de succédané, en mode mineur, de tous ses modèles, sans réussir réellement à transcender ses hommages. On appréciera cependant la modestie du scénario qui, loin de partir dans des circonvolutions théoriques, déroule une histoire simple mais radicalement sombre, jusqu’à son dénouement un peu faiblard mais renforcé par une dernière scène marquante, voire traumatisante. Et ce sans aucune prétention sociologique ou politique, et c’est tant mieux. À la fois cynique et quelque peu grotesque, sa galerie de personnages réinvestit nombre de clichés de cette forme ultra-usitée qu’est le polar (et plus encore le film de vengeance) en en grossissant les traits et le goût pour un humour noir bienvenu. Oubliez la tagline de Tarantino. Big Bad Wolves n’est en aucun cas un chef-d’oeuvre, ni même un grand film. Mais si on le voit comme un polar nihiliste à regarder pour se détendre, il fait plutôt bien son boulot.
Big Bad Wolves, Aharon Keshales & Navot Papushado, avec Lior Ashkenazi, Rotem Keinan, Tzahi Grad, Israël, 1h50.