Ptit Quinquin : Twin Peaks taquin

Néo Twin Peaks parodique et loufoque, la série de Bruno Dumont, P’tit Quinquin, est une petite merveille. Ses quatre épisodes de 50 minutes chacun (La Bête humaine, au Cœur du Mal, Le Diable en perchonne, et Allah Akbar) racontent l’histoire burlesque d’une enquête policière autour de crimes improbables dans un village côtier du Boulonnais, ainsi que celle de P’tit Quinquin, faux voyou  attendrissant épris de la petite Eve, du même âge que lui.

Malgré la longueur de la projection (3h20 après 8 jours de festival, il y avait de quoi s’effrayer), les épisodes s’enchaînent rapidement, et le rire se renouvelle à chaque fois. Le premier épisode est sûrement le meilleur, car il est celui de la découverte. Celle d’un cadre d’action insolite, d’une intrigue improbable : le corps sans tête d’une femme du village est retrouvé découpé en morceaux dans le ventre d’une vache, elle-même retrouvée dans un bunker, et enfin, et surtout, de personnages extravagants et hilarants.

P’tit Quinquin est un gamin sauvage et mal élevé d’une dizaine d’année, la gueule à moitié cassée du côté droit, qui fait le fier avec sa bande de copains, mais s’avère doux et bienveillant avec son amoureuse Eve. La scène dans laquelle les deux enfants s’enlacent en se répétant doucement à l’oreille « mon amour », est d’une tendresse infinie. Les parents de p’tit Quinquin sont des paysans un peu bourrus, qui habitent avec Dany, l’oncle attardé, et Pépé et Mémé. Il est regrettable, au passage, que ces deux personnages n’apparaissent pas davantage à l’écran. Leur spécialité s’avère en effet de « foutre le bordel » en lançant les verres et les assiettes sur la table au lieu de simplement « mettre » la table. Leur courte scène est l’une des plus drôles de la série.

Mention spéciale, évidemment, aux deux flics grotesques qui mènent l’enquête, et qui ne sont d’ailleurs pas sans faire penser aux Bullit et Ripper, les deux caricatures de Mais qui a tué à Paméla Rose ?. Carpentier est maladroit, trébuche tout le temps, et aime conduire les voitures sur deux roux. Il a une denture très espacée et fait part de ses réflexions faussement littéraires et creuses à son commandant. Ce dernier, le sergent Van der Veyden, admirablement interprété par Bernard Pruvost, est sans doute le meilleur personnage. Bourru, sénile, idiot, il tente vainement de faire preuve d’autorité auprès de tous les habitants du village. Sa magie tient au fait qu’il est rempli de tics d’expressions : ses yeux, en particulier, clignent, s’enfoncent, sortent de leurs gonds, tournent sur eux-mêmes, et multiplient des mimiques ultra expressives à l’effet comique systématiquement garanti. La seule apparition du sergent chef à l’écran, les mains perpétuellement tendues et les paumes tournées vers le ciel, la démarche pathétique, génère une irrépressible envie de rire.

Au-delà de cette indéniable situation comique, le film est une fable acerbe sur la société d’aujourd’hui. Sur le mode de la dérision, Bruno Dumont représente bien l’âpre réalité du racisme et de la misère intellectuelle des petits bourgs provinciaux. Les noirs et les arabes se font insulter, et le petit Mohamed, humilié et stigmatisé par les filles du village, pète un plomb et tire sur tout le monde, avant de se tirer une balle dans le crâne. Aucun blessé ni aucune violence montrées à l’écran, seule l’incompétence policière et judiciaire dénoncée du début à la fin du film, sur le mode du gag absurde. Les cadres sont très soignés, l’image très belle, et le réalisateur surprend même au détour de certains faux raccords ou regards caméra parfaitement assumés et originaux. La série, quasiment dénuée de rebondissements narratifs au sens fort, ne se donne même pas la peine de révéler le meurtrier. Celui-ci se laisse pourtant démasquer de manière évidente et ironique, dès la scène magistrale de l’enterrement (critique loufoque et jouissive de l’Eglise), et à plusieurs reprises dans les épisodes suivants, mais n’est jamais soupçonné par aucun personnage.

De P’tit Quinquin, série télévisée exceptionnellement sélectionnée à la Quinzaine des Réalisateurs, il faudra surtout retenir cette brochette de personnages admirablement drôles et inventifs, tous dotés de traits de caractère propres et singulièrement loufoques. Série mordante à ne pas rater.

P’tit Quinquin, de Bruno Dumont avec Alane Delhaye & Lucy Caron – Mini-série bientôt sur Arte

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