Black Mirror, saisons 1 et 2 : reflets d’une société déshumanisée

Le 1er Mai 2014, sur France 4, a débutée la diffusion de Black Mirror, une série d’anticipation britannique créée par Charlie Brooker en 2011, et qui s’inscrit – chose rare depuis quelques années – dans la veine des séries d’anthologie, c’est-à-dire dont chaque épisode constitue une histoire complète.

Il s’agira donc de déguster chacun d’entre eux avec modération

Plusieurs aspects distinguent ainsi Black Mirror des séries-feuilletons auxquelles les succès de la dernière décennie nous avaient (trop) habitués. Tout d’abord, chaque épisode, d’une durée pouvant varier entre 40 minutes et 1 heure, fonctionne de façon indépendante, à la manière d’un moyen métrage : il est réalisé par un auteur différent, et raconte à chaque fois une nouvelle histoire avec de nouveaux personnages. On ne trouvera donc ici ni le suspens immédiat créé par l’attente de la suite, ni cette plaisante accoutumance que le développement d’une intrigue sur la longueur peut procurer. Par ailleurs, le nombre d’épisodes est très limité : trois pour la saison 1 (2011), trois pour la saison 2 (2013). Il s’agira donc de déguster chacun d’entre eux avec modération, selon un mode opératoire bien différent de l’engloutissement boulimique d’une saison de 24h Chrono, par exemple.

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This is your life and it’s ending one minute at a time

Dans le cas présent, rareté est synonyme de qualité : les pistes de réflexions proposées par les différents scénaristes sont réellement novatrices, et sont développées avec profondeur et cohérence. L’idée de départ est à chaque fois la même : essayer d’imaginer, dans un futur plus ou moins proche, la façon dont la technologie (et, plus précisément, les technologies de communication) aura asservi – physiquement et mentalement – l’être humain; extrapoler les dérives d’aujourd’hui pour peindre un tableau terrifiant, allant du possible au probable, mais toujours plausible, de la société de demain. Inutile donc de préciser que Black Mirror pose un regard sombre, et lucide, sur les travers de notre mode de vie actuel, dans les pays les plus « développés » du moins. C’est principalement notre dépendance aux images, et le rapport biaisé à la réalité qu’elle engendre, qui est ici sévèrement mis en cause.

La grande qualité commune à tous les épisodes réside dans l’écriture

Dans la saison 1, The National Anthem raconte comment un terroriste, après avoir kidnappé la princesse d’Angleterre, parvient à faire faire ce qu’il veut au premier ministre en direct à la télévision. 15 Millions Merits décrit un monde où les gens doivent passer leur journée à travailler pour fournir de l’énergie à la communauté, la seule issue offerte étant d’être sélectionné par le public lors d’un jeu directement inspiré de notre « The Voice » français et de ses multiples équivalents internationaux. The Entire History of You montre en quoi le fait de filmer et de stocker tous les évènements de notre quotidien peut faire voler en éclat un couple.

Dans la saison 2, Be Right Back raconte comment une veuve parvient à recréer un double artificiel de son défunt mari grâce aux informations qu’il avait accumulées sur les réseaux sociaux tout au long de sa vie. White Bear montre une femme devenue l’objet d’une terrifiante émission de télé-réalité, où la cruauté et le voyeurisme semblent n’avoir plus de limites. Enfin, The Waldo Moment décrit la manière dont la création d’une mascotte virtuelle va bousculer une élection politique locale.

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Elections piège à cons

La grande qualité commune à tous les épisodes, outre une réalisation et une interprétation très maitrisées (choses qui semblent aujourd’hui banales car courantes, mais non moins essentielles), réside dans l’écriture. En choisissant de développer de façon méticuleuse l’enchainement aussi précis qu’implacable des situations, les postulats d’anticipation prennent une crédibilité qui les rend glaçants de réalisme. Les personnages sont traités avec un parti-pris qu’il fallait avoir le courage d’assumer : celui de ne jamais en faire des vecteurs d’émotions quelconque – ce qui est totalement contraire à la « loi des séries ». Dans Black Mirror, toutes les émotions humaines (l’amour, notamment) sont reléguées au second plan, et l’être humain est toujours balayé par une machinerie technologique implacable, qu’il a lui-même, bien évidemment, créée.

elle s’avère parfois un peu prévisible

Le seul bémol (car il y en a toujours un) de la série est qu’elle s’avère parfois un peu prévisible, tant les étapes semblent s’enchainer de façon logique; c’est le revers inévitable du principe d’écriture décrit plus haut. Mais à part cela, Black Mirror est sans doute l’une des séries les plus créatives, et les plus en prise avec le monde d’aujourd’hui, de ces dernières années. Espérons qu’elle recevra un accueil chaleureux sur nos écrans, et qu’elle ouvrira la voie à des créations aussi audacieuses de notre côté de la Manche !

Black Mirror, saisons 1 et 2. Série créée par Charlie Brooker. GB, 2011 & 2013. 6 épisodes d’une durée de 40 minutes à 1 heure. Diffusion sur France 4 depuis 1er mai 2014. Saison 3 disponible sur Netflix à partir du 21 octobre 2016.

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2 thoughts on “Black Mirror, saisons 1 et 2 : reflets d’une société déshumanisée

  1. Le premier épisode, malgré une interprétation maîtrisée et une idée choc, met en scène une situation peu crédible, qui disqualifie l’ensemble. D’accord pour le voyeurisme des gens en général, d’accord pour les pressions médiatiques, mais aucun homme (politique) ne pourrait en arriver à ce dénouement sans être définitivement discrédité aux yeux du monde et, surtout, à ses propres yeux.
    J’attends la suite mais il est bon de rappeler que de tels sujets ont déjà été traités (The Truman show, par exemple).

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