[L’image de l’année] Zero Dark Thirty, opération Neptune’s Spear

S’il fallait garder de 2013 une image, un plan, un photogramme : les rédacteurs de Cinématraque se prêtent à l’exercice.

Il fallait tout le courage et l’opiniâtreté, qualités que la réalisatrice partage avec ses personnages principaux, de Kathryn Bigelow pour se lancer dans le récit de la traque de Ben Laden, alors que celle-ci n’avait pas encore trouvé son point final. Vitalité formidable du cinéma américain qui s’empare de l’actualité, et la devance quelquefois.

Bigelow n’a rien d’une surdouée, mais film après film, montre à ceux qui la suivent ce que c’est que le bénéfice de l’expérience. Démineurs était une leçon de mise en scène. Zero Dark Thirty est son premier chef-d’œuvre, le film le plus important de l’année, qui expose en trois scènes la maîtrise absolue d’une cinéaste sur la matière mouvante du réel (la scène où le merveilleux Reda Kateb « craque », celle de la traque par triangulation d’un téléphone portable dans un marché au Pakistan et la dernière). Restons sur la scène finale qui expose en temps réel (45 min.) l’opération Neptune’s Spear, soit l’assassinat d’Oussama Ben Laden par une équipe du Navy SEAL au Pakistan. Après deux heures de film qui retrace le minutieux et fastidieux travail bureaucratique d’identification et de collecte de renseignements d’un agent de la CIA (Jessica Chastain), le spectateur, maintenant sensibilisé à la valeur de toute information, se trouve confronté à l’élimination pure et simple du chef d’Al-Quaida, suivie par la disparition quasi immédiate de son corps. Puissance de l’image, force d’une vision, la scène met un coup d’arrêt brutal aux fantasmes qui ont entouré cette disparition.

En trouvant Ben Laden, l’Amérique a fini de travailler à comprendre le monde. Elle a dispensé un châtiment. On a pu reprocher à la réalisatrice son manque de point de vue sur les enjeux moraux de cette traque. Cette dernière scène marque au contraire une lucidité descriptive d’une intense acuité. Pour Kathryn Bigelow, l’Amérique moderne, c’est une compétence extrême mise au service d’une violence extrême.

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