En solitaire vs All is lost : où es-tu Manureva ?

Deux films récents, partageant des thèmes et un environnement communs, continuent de tracer une ligne de démarcation franche entre un cinéma grand public français et son équivalent américain, et finissent de nous renseigner sur l’échec flagrant du premier au profit du deuxième. J’ai nommé En solitaire avec François Cluzet d’un côté (en salles depuis le 6 novembre), et All Is Lost avec Robert Redford de l’autre (sorti la semaine passée). Deux têtes d’affiche sont sur un bateau en pleine mer, l’une des deux tombe à l’eau, qui est-ce qui reste ? Côté français à peu près rien ni personne, côté américain à peu près tout et Robert Reford.

C’est qu’en France-pays-des-droits-de-l’homme-liberté-égalité-fraternité, il ne suffit pas d’avoir un bateau, une course mythique et un skipper seul en pleine mer pour faire un film d’1h30, quand bien même ça donnerait une course haletante de 3 mois. Non, en France-pays-des-droits-de-l’homme-liberté-égalité-fraternité, il faut encore des mots, un discours sur le monde comme il va, un message politique, une morale pour toi et les 3 générations qui te suivront… Car un film en France-pays-des-droits-de-l’homme-liberté-égalité-fraternité doit d’abord dire quelque chose avant de montrer quoi que ce soit. Dès lors, peu importent les efforts techniques consentis pour obtenir des axes et des angles de fous sur un bateau en pleine mer par gros temps, le making of fera office de bande-annonce ! Par contre, pour le film, on misera d’abord sur les mots. Mais comme on n’a qu’un personnage (en solitaire, donc), on va en rajouter un deuxième pour écrire des dialogues. Et peu importe alors si on ne tient pas les promesses du titre, tant qu’on tient celles de la France-pays-des-droits-de-l’homme-liberté-égalité-fraternité. Le deuxième protagoniste sera donc un sans-papiers embarqué, et si possible un enfant. Et peu importe si on l’embarque au mépris de la dramaturgie la plus élémentaire, de la réalité politique et du cinéma lui-même, car il en va d’abord de la bonne conscience de la France-pays-des-droits-de-l’homme-liberté-égalité-fraternité. Après quoi, évidemment, n’importe quoi.

Du côté de All Is Lost, en revanche, on semble appliquer à l’image (et non plus à la lettre) la célèbre phrase de Jaques Lacan qui voudrait que, « quand on n’a plus rien à dire, c’est là qu’il faudrait commencer à parler. » Le film s’ouvre par une voix off relisant un ultime mot d’adieu. Après quoi, plus un mot. Rien d’autre que la mer, un bateau à la dérive et Robert Redford à son bord. N’ayant plus rien à dire, on peut commencer de montrer. Et le film ne sera pas exempt d’une dimension politique pour qui voudrait la mesurer. Mais là encore, on pourra la voir plus que l’entendre, à travers un container à la dérive, cause du naufrage de Robert, à travers un stock de baskets pour enfants qui s’en échappent, attirées par le fond, à travers un porte container plus grand qu’un building traçant sa route au mépris des fusées de détresse d’un homme seul sur un radeau. Et la métaphore n’aura pas eu besoin de plus de trois plans, ni d’autre commentaire que les images elles-mêmes. On en profitera encore pour apprendre à désaliniser l’eau de mer de manière simple et artisanale, des fois que t’ais oublié ta bouteille de Contrex. Le film pourra alors se refermer sur une magnifique contre-plongée, au sens littéral du terme, comme un clin d’oeil complice à Gravity.

Le cinéma français meurt de ses bonnes intentions qui cherchent à racheter sa mauvaise conscience. Son alter ego  américain gagne en prenant le risque de tout perdre. All Is Lost est un bon film. Grâce à En Solitaire, c’est un chef-d’oeuvre. All Is Lost donc, sauf le cinoche.

En solitaire, Christophe Offenstein, avec François Cluzet, Samy Seghir, Virginie Efira, France, 1h36.

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