Entretien avec Bertrand Blier : des Valseuses à Combien tu m’aimes ?, une filmographie commentée

En septembre 2012, Bertrand Blier était le président du 1er Festival International du Film Grolandais de Toulouse, le Fifigrot. L’idée de lui consacrer une rétrospective fut alors lancée. Chose promise, chose due : la Cinémathèque de Toulouse ouvre donc sa saison 2013/2014 avec un cycle qui lui est consacré.

Ce jeudi 12 septembre, en amont de la projection de Tenue de soirée, l’auteur se prêtait au jeu d’une rencontre avec son public, au cours de laquelle il portait un regard pour le moins critique sur le cinéma d’aujourd’hui. « Le cinéma est probablement fatigué. Je parle du cinéma mondial. En France, ça ne va pas trop mal, mais en Amérique, c’est catastrophique. Quand on voit ce qu’ils font, on est quand même assez navré. Je pense qu’il y a eu une grande époque dans le cinéma, avec des grands metteurs en scène qui ont pris la liberté de faire des choses. Ils ont eu souvent des problèmes avec la censure. Quand Bertolucci fait Le Dernier tango à Paris, il ne demande l’avis à personne. Cette époque-là était merveilleuse, avec des films comme La Grande bouffe, ou même Orange mécanique. (…) Tout ça faisait qu’on se sentait partir dans une aventure qui en valait la peine. Aujourd’hui, tout le monde fait le dos rond. Tout ça, c’est un peu centre-gauche. Il n’y a plus ce besoin de tout casser qu’il y a eu dans le cinéma entre les années 60 et 80. (…) Et puis il y a eu surtout la politique française qui a consisté à faire financer les films par les chaines de télévision, ce qui est très astucieux, on est les seuls à l’avoir mise au point. (…) Mais les gens à la tête des chaînes ne sont pas de très gros aventuriers, ça se saurait. Nous autres, metteurs en scène, on a tendance à s’arranger avec ça, pour continuer à faire des films, sans tout casser, sans finir brûlés en enfer, me semble-t-il. C’est une maladie du confort, en France, on fait beaucoup de films, on n’est pas à plaindre. Il faut peut-être attendre d’avoir un certain âge, ce qui est mon cas, pour faire un dernier film. Faire son dernier film, c’est intéressant, car on sait qu’on n’en fera plus après, on ne craint pas les retombées. Le premier et le dernier film sont les plus dangereux. »

Quelques heures plus tôt, et malgré un planning chargé – qu’il soit ici remercié du temps accordé – je rencontrais l’auteur : l’occasion de passer brièvement en revue, et au fil du programme de la rétrospective, une filmographie courant désormais sur six décennies.

BERTRAND BLIER : On me demande souvent si je pourrais refaire Les Valseuses aujourd’hui. Mais il faudrait commencer par le réécrire, et que cela décrive la jeunesse d’aujourd’hui : ils seraient dealers, ils vendraient des kalachnikovs. Le scénario serait donc différent, avec des problèmes et des lieux différents aussi. Mais concernant les conditions de travail, entre les années 70 et maintenant, il y a beaucoup moins de liberté de ton.

Du coup, que vous inspirent les débats et polémiques actuels sur le cinéma français ?

Je n’ai pas pris position sur la convention collective : je n’ai signé aucune des pétitions que j’ai vu circuler sur internet. Il ne faut pas un système qui fige tout, avec des lois strictes. Je pense qu’il faut préserver la diversité des films. Il y a plusieurs écoles dans le cinéma : il y a des films qui coûtent beaucoup d’argent et des films qui n’ont pas d’argent. Pour les films qui se font avec des petits moyens, de jeunes cinéastes, d’auteurs difficiles, il faut faciliter les choses. Il faut créer des exceptions, que l’on puisse payer les gens moins cher : on peut même ne pas les payer du tout tant qu’à faire, ils peuvent même donner leur argent. On peut faire n’importe quoi, mais ce n’est pas la profession, c’est une industrie, le cinéma, c’est quand même un gros chiffre d’affaire. Protéger les techniciens, c’est important. Il faut peut-être payer un peu moins les acteurs, qui sont du bon côté du manche, et un petit peu plus les techniciens, mais en veillant à ne pas paralyser la profession en édictant des lois syndicales trop dures. Pour que Pascale Ferran puisse faire ses films, et moi les miens. Qu’on ne soit pas emmerdés par l’un ou par l’autre. C’est très difficile à gérer. Mais je crois que c’est un peu un faux débat : depuis des années, ces problèmes se réglaient secrètement sous le tapis, avec des producteurs qui ne payaient pas, et puis d’autres qui payaient, et tout le monde le savait. Puis il y a eu des déclarations, et c’est devenu un débat national.

Pourriez-vous nous dire un mot à propos de chacun des films présentés à la Cinémathèque de Toulouse ? Les Valseuses, Calmos, pour commencer ?

Coup de maître Les Valseuses. Il faut lire le livre, c’est un gros roman de 500 pages à la base. Il est bon et amusant, beaucoup plus intéressant que le film, mais pas meilleur. Ce film est une réussite extraordinaire, pas du tout à cause de mon talent, mais la réussite est là, ça arrive. Calmos, c’est le contraire, c’est l’échec absolu. Je regrette de l’avoir fait si tôt, alors que j’aurais pu le garder et le faire plus tard, avec des trucages numériques, avec des acteurs différents.

Préparez vos mouchoirs ?

C’est un film qui m’a donné beaucoup de mal, il a été très difficile à écrire, très long. Avec le recul, je pense que j’aurais dû écrire le livre, cela aurait été plus facile de passer après au film, ça aurait mieux marché, car c’est quand même un drôle de scénario, j’ai eu un mal fou à m’en sortir. J’aime bien le film, il a fait le tour du monde, il a eu un Oscar, ça va, quand même.

Beau-père ?

C’est un film que j’ai raté, je ne l’ai pas bien fait. Il est trop joli, trop élégant, il n’y avait pas besoin de tous ces plans sophistiqués. Honnêtement, c’est un film de crétin. Je l’aime bien : Patrick est absolument merveilleux, et puis Maurice Ronet aussi, et la petite. J’ai eu du plaisir à le faire, mais je suis passé à côté.

Notre histoire

C’est très compliqué, je ne peux pas avoir d’opinion… C’est un film avec des conflits : conflits avec Alain Delon, avec le producteur, entre Alain Delon et le producteur. J’ai donc tourné un truc hybride, qui est amusant, mais que je ne referais pas.

On en vient à Tenue de soirée

Deuxième coup de maître. C’est amusant, car j’avais eu l’idée pendant le tournage des Valseuses. On était sur une plage, j’ai raconté le sujet à Gérard et à Patrick, je leur ai fait jurer que si on était dans la merde, un jour, on ferait ce film-là. On s’est tapé dans la main : on était sûrs qu’on le ferait. Et donc on l’a fait, mais sans Patrick… 

Trop belle pour toi ?

Troisième coup de maître, plus petit, à échelle plus modeste, mais quand même. Et avec ce film, c’est la première fois que j’ai fait parler des femmes, que j’ai écrit des dialogues de femmes. Les deux actrices, Carole Bouquet et Josiane Balasko, m’ont dit : « Écoute, c’est incroyable, on a l’impression que c’est nous qui avons écrit les dialogues ». Ça m’a énormément fait plaisir, parce que ce n’est pas évident de faire parler des femmes, surtout le personnage de Carole, qui dit des choses un peu stupéfiantes.

Merci la vie ?

C’est mon meilleur film, le plus courageux, le plus inventif, le mieux mis en scène, le plus décoiffant. Je ne me compare pas à Fellini, ni à Kubrick, mais c’est un film extraordinaire. On ne pourrait pas le refaire actuellement.

1, 2, 3, soleil ?

Il n’a pas eu une belle carrière. Il parle de choses qui m’ont touché, et il est très en avance, quand on voit ce qui se passe aujourd’hui. Le film est un peu paresseux, d’une certaine manière. Mais je l’aime beaucoup. Et il y a Marcello Mastroiani, un des plus grands acteurs du monde et un type fantastique. C’est un souvenir merveilleux d’avoir travaillé avec lui.

Mon homme

C’est le film que je n’aurais pas dû tourner et que j’ai tourné quand même.

Les Côtelettes…

Un très bon souvenir, c’était très marrant à faire, très intéressant. Un désastre absolu auprès du public. C’est un tout petit film de rien du tout, mais que j’aime beaucoup.

Combien tu m’aimes ?

Une sorte de divertissement sur la nudité féminine, un hymne au corps de la femme italienne. Ce n’est pas un grand tournant du cinéma, mais c’est un film assez charmant, et marrant à faire.

Buffet froid, en revanche, ne fait pas partie de la rétrospective…

Gros coup de maître, Buffet froid. Écriture incroyable, fantastique. Deux semaines ! Cela ne s’est jamais reproduit après. J’ai mis plus d’un an à trouver un financement, personne n’en voulait. Le scénario est stupéfiant, même pour moi. Je n’ai jamais compris comment j’ai pu l’écrire. Comme si quelqu’un qui n’avait jamais fait de mathématiques se mettait devant une feuille et résolvait un problème d’Einstein. C’est pareil pour ce scénario, qui est quand même formidable : tout d’un coup, je me suis mis devant du papier, alors que j’étais en vacances, et j’ai écrit une scène par jour.

Et le film que vous écrivez actuellement ?

Ah, il est effrayant ! Assez épouvantable…

Rétrospective Bertrand Blier (12 films) / Cinémathèque de Toulouse, du 10 au 25 septembre.

Merci à Natacha Laurent, Franck Lubet et Clarisse Rapp. Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site de la Cinémathèque de Toulouse.

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