Petite Valseuse (la juste cause d’Antoine Canet)

Parce qu’Antoine Canet, justicier sans face des réseaux sociaux, n’a jamais manqué de nous manifester son attention – à défaut de son soutien –, il nous semblait injuste de ne pas lui offrir enfin, officiellement, la célébration qu’il mérite.

Si l’avènement du net a révolutionné au moins une chose, dans le paysage de la critique, c’est le rapport du lecteur d’un texte à son auteur. Moins de distance et de suprématie, pour le « professionnel » trop longtemps protégé par l’opacité de la page, place à une exposition directe, à peine l’article mis en ligne, et surtout au verdict du lectorat via la zone de commentaires. Mieux encore, les critiques eux-mêmes ayant pour la plupart admis sans douleur, avec le temps, cette abolition des distances, rien ne les empêche de tirer profit de cette interactivité, via notamment les réseaux sociaux, où se « partagent » désormais nos articles sans chichis. Occasion précieuse d’observation de la portée de nos propositions du jour, par la présence ou l’absence de « likes » ou de commentaires approbateurs ou sentencieux. C’est de bonne guerre, cette exposition étant signe d’une certaine humilité, d’une nécessaire prise en compte de l’altérité (lecteurs, confrères…).

A propos d’altérité, un petit phénomène n’a pas manqué d’animer gentiment ledit paysage critique cette année, sous le nom passe-partout d’Antoine Canet. Antoine Canet, c’est quoi précisément ? Pas grand-chose, pour ne pas dire rien. Peut-être un fake, peut-être un quidam foncièrement bonnard, peut-être toi, peut-être moi. Le phénomène Canet repose sur un principe plutôt amusant au départ : le gaillard, généreux, partage de jour en jour, sans demander son reste, les articles ciné qui l’ont le plus marqué, issus aussi bien de sites hyper connus que de modestes blogs, signés d’illustres inconnus ou de grands noms, c’est selon. Mais à cette générosité s’adjoint une condition, celle de présenter ce partage comme un acte de résistance (Deleuze me pardonne), une mise en lumière par l’absurde de la médiocrité généralisée de la critique 2.0. Rebelle sans cause, Antoine Canet, même si la timidité l’empêche de l’énoncer, se rêve en entarteur officiel des petits écrivaillons sans talent.

On passerait volontiers outre si la profonde inanité du concept n’avait mine de rien réussi à faire un peu mouche. Au fil des mois, la question Canet est bien devenue l’une des petites préoccupations du moment (à l’échelle des réseaux sociaux et de la sphère cinéphile, s’entend). Le gars s’en amuse, forcément (imaginez d’ailleurs son rire sardonique, au moment de lire ces lignes), trop heureux d’avoir su inquiéter la masse informe des mauvais fils et filles de Daney et consorts – si vous avez deux minutes, jetez à la rigueur un œil rapide sur son twitter. D’aucuns, parmi les « amis » des critiques visés, ne manquent d’ailleurs pas de lui apporter leur soutien sincère, voyant en lui le porte-parole des sans voix (ptdr*). L’abolition nécessaire de la distance entre critique et lectorat, à priori bénéfique dans ses promesses dialectiques, se mue donc, par son biais mais pas seulement (nombre de commentaires d’articles mais aussi de forums se font une spécialité d’être de toute manière, par principe, « contre » tout), en petite défiance sans réplique : J’te descends, mais cherche pas mec, j’te calcule même pas ! (mdr)

Il n’est surtout pas question ici, pour nous à Cinématraque, pour moi qui signe ce texte, de s’alarmer de l’influence au fond jamais avérée du phénomène. Que Canet persévère dans sa lutte n’a en soi rien de désespérant, son suivi obsessionnel et surtout son partage de notre travail, quelle qu’en soit la motivation, restant une promotion comme une autre. Simplement nous semblait-il intéressant de lui offrir enfin des lignes à la hauteur de sa petite mythologie. Ce qui manquait à Antoine Canet, c’était précisément une validation officielle de son geste, par le biais d’un texte signé par l’une de ses cibles et publié sur l’un de ses sites préférés. Il entre alors à son tour, qu’il le veuille ou non, dans le jeu de ce qu’il refuse. Être le sujet d’un texte nul, lorsque l’on est le plus grand des lucides, n’est pas le moindre des affronts. C’est pourtant la rançon de la gloire, mon Antoine, ce qu’il te faudra accepter : être dès ce jour le destinataire implicite de nos moindres coquilles et piétinements théoriques. Notre petite valseuse à nous, quoi.

*  « ptdr », « mdr », « xpdr » et autres subtilités sont, à peu de choses près, ce qui constitue l’argumentaire de Canet, qui, je n’en doute pas, ne s’offusquera pas de l’emprunt.

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