Les Flingueuses tirent à blanc

Les années 80 ont été le théâtre de la naissance d’un genre particulièrement fécond, aux références innombrables et aux codes précis : le Buddy Movie policier. Les règles en sont au fond assez simples. Quels sont, en effet, les points communs entre Tango & Cash (Andrei Konchalovsky, 1989), Etroite surveillance (John Badham, 1987), L’Arme fatale (Richard Donner, 1987) ou encore Double Détente (Walter Hill, 1988) ? Dans tous ces films, l’histoire réunit toujours deux hommes que tout sépare, un modèle de technocrate efficace et professionnel et un flic paumé mais intuitif, qui de partenaires contraints deviendront amis inséparables en s’apercevant que si leurs manières diffèrent, leur amour de la justice est le même. Cet apprentissage de l’altérité, qui donne lieu à des séquences redoutablement émouvantes, se fait ainsi par le truchement de quelques invariants : des révélations intimes et partagées sur une sexualité désinhibée ou au contraire frustrée et une même satisfaction à tabasser les méchants.

Avec The Heat (Les Flingueuses), Paul Feig s’efforce de retrouver, dans son versant comique, le canevas du genre, en changeant de genre justement : les flics désormais sont des femmes, et c’est sur cette seule volte-face que repose autant l’histoire que la plupart des effets comiques.

Sarah Ashburn (Sandra Bullock), agent spécial du FBI, ambitieuse et zélée, est envoyée à Boston pour enquêter sur un trafiquant de drogue sanguinaire et se retrouve forcée de faire équipe avec une inspectrice locale, Shanonn Mullins (Melissa Mc Carthy), mal embouchée et insubordonnée. Autrement dit, tout les oppose, et le film va emprunter une à une toutes les situations du Buddy Movie classique : rencontre désastreuse, beuverie réconciliatrice, solidarité devant les embûches, amitié nouvelle fondée sur l’harmonieuse complémentarité de leurs différences.

Si Bridesmaids, le précédent film du réalisateur, partait d’un même principe, réaliser un film de copains avec des copines et mettre en scène sans pudeur mal placée un humour régressif et cruel, on a moins souvent mis en lumière que la réussite du film reposait sur le masochisme de son personnage principal : chaque situation mettait Annie (Kristen Wiig) dans les postures les plus pénibles, dont elle s’efforçait de sortir avec le plus de dignité possible, pour mieux s’enfoncer quelques instants après. C’est ainsi que le comique des situations s’accomplissait sur fond d’une gêne vécue par le spectateur devant la malchance, la maladresse et la déchéance inéluctable d’Annie : on riait d’elle, pas avec elle, et cette cruauté sadique avait la vertu d’éviter l’apitoiement devant les affres de la femme de presque 40 ans. Autrement dit, ce n’est rien d’autre que le sérieux et la bonne volonté affichés du personnage, ce mélange de candeur et de désarroi, qui faisait le rouage burlesque parfait selon la formule de Casanova, qui veut que « si l’on veut faire rire les gens, on doit garder un visage sérieux. »

Or, Sandra Bullock n’est pas Kristen Wiig, et l’échec relatif de ces Flingueuses repose justement sur cette tautologie. En effet, quand le jeu de la seconde reposait sur l’impassibilité et l’opiniâtreté, celui de la première ne cesse de faire de l’œil au spectateur, en instituant une sorte de distance avec le personnage qui évide les scènes de leur potentiel comique. Elle paraît ainsi en faire trop, justement en n’en faisant pas assez : Sandra Bullock ne joue que dans la mesure où elle s’étonne de sa propre audace à se mettre dans des situations humiliantes, et exige le même étonnement de la part du spectateur. Ainsi, elle paraît s’enorgueillir d’oser vouloir nous fait rire avec quelques vulgarités péniblement déclamées et quelques postures embarrassantes. Comme si son indignité temporaire et simulée devait suffire à déclencher notre hilarité. Comme quand votre vieille tante guindée jubile devant son propre mauvais goût en vous racontant une mauvaise blague de Bigard, que vous connaissiez déjà et qui n’est même pas drôle.

Face à ce jeu artificiel, Melissa Mc Carthy, caution grossièreté du film, est amenée à en faire d’autant plus que Sandra Bullock n’est jamais complètement là. Enchaînant les salves d’insultes, les monologues injurieux, son personnage bruyant est censé faire montre d’une hygiène douteuse et d’un goût prononcé pour la luxure en une version caricaturalement masculine. Elle tend ainsi à occuper l’écran, à le remplir comme pour compenser le vide laissé par sa partenaire. Dommage, dans la mesure où elle fait preuve d’une énergie, et d’une manière de jouer de son corps et de sa gestuelle, qui ne sont pas dénuées de cette faculté de produire de l’inattendu qui caractérise les acteurs comiques. En défaut ou en excès, c’est l’interprétation qui fait des Flingueuses une variation terne, sans imagination, sur un thème déjà bien connu.

Ainsi, caractéristique de ce film entièrement dévolu à l’imitation et à la redite, l’un des gags filés du film (le passé de séductrice de Shanonn, qui recroise ses amants éperdus, elle que le film montre tout à la fois si peu féminine et si peu portée sur l’autre sexe) est littéralement repris d’une comédie récente, The Other Guys (Very Bad Cops) réunissant Will Ferrell et Mark Wahlberg. Symptomatique du manque d’inspiration de ces Flingueuses, alors que Will Ferrell pousse l’absurdité de cet attribut de séduction, émanant de son corps dégingandé, jusqu’à mettre en scène des flash-backs exubérants, bruyants et incorrects, les rencontres de Shanonn avec ses ex n’interviennent que pour combler des baisses de rythme dans la narration, s’épuisant en de vagues répliques à défaut de produire des situations extravagantes et réellement comiques.

Si certaines séquences prêtent à sourire, voire à rire, ce sont seulement celles où le jeu des actrices s’efface enfin devant l’étrangeté loufoque des personnages, rappelant ainsi qu’en matière de comédie, « n’interprétez pas, expérimentez ».

Les Flingueuses, Paul Feig, avec Sandra Bullock, Melissa McCarthy, Demian Bichir, Etats-Unis, 1h57.

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