Oh Boy, just wanna have fun

Il y a des mails qui font plaisir, comme celui-ci reçu fin mai : l’expéditeur, les autres destinataires, la proposition. Une avant-première ce jeudi à 20h à l’UGC ciné cité des Halles. Ça sonne bien, ça donne envie, ça fait sourire. J’ai souri. Et la phrase suivante, bam, je déchante. Un film allemand. Aucun souvenir de son titre, peu importe, je les imagine instantanément tous pareils : plutôt austères en surface, franchement pénibles en profondeur, avec des allusions à un passé qui aurait tout d’un chewing-gum sous la semelle, dans une langue dont je ne comprends que 6 mots. Un genre de soirée thématique de 4h sur ARTE, un vendredi après une semaine de 49h, qui débuterait à 2h du matin, en VO, où je ne pourrais pas lire les sous-titres. Comme tout bon préjugé, il ne repose sur aucun fondement.

Le jour de la projection de Oh Boy, puisque c’est de cela qu’il s’agit, tous les destinataires du mail invitatif se retrouvèrent l’après-midi. A quelques minutes de la séance, nous partîmes nombreux et nous nous vîmes deux en arrivant aux Halles : la perspective d’un autre film, avec des personnages aux noms d’animaux, en T-shirt made in Camif 100% lycra coloré, s’exprimant dans une langue dont le nom ressemble à un détergent et d’autres raisons tout aussi imparables décimèrent notre groupe. L’annonce de « séance complète », malgré les réservations, et la file d’inconscients attendant que les gens fuient la salle, légitimaient un « tant pis, c’est pas grave » (sur un ton suffisamment triste pour que mon hôte propose autre chose), que je n’eus pas le temps de chatpotter puisque les deux seuls sésames fraîchement arrivés nous furent offerts. Les quelques places restantes, éparpillées dans la salle, laissaient espérer que l’on soit assis assez loin l’un de l’autre pour que je puisse fuir à mon tour. C’était sans compter sur la malveillance des spectateurs qui se décalèrent pour nous créer des places adjacentes. Karma moisi.

Première scène. Le film est en noir et blanc. L’austérité plane. Arrive du jazz. L’idée de la pénibilité atterrit : le jazz est à la musique ce que le film allemand est au cinéma. Niko, le boy, et sa copine. Il a les traits fins comme ceux d’une femme. Je partage cette brillante constatation avec mon voisin. Quand la fin du film confirmera mon intuition, à savoir que Niko est une Nikolette, j’aurai le sourire de celle qui avait tout compris d’entrée. Plantage intuitif total, et j’étais la fille qui parle pour ne rien dire pendant un film, et ça, ce n’est pas moi ! La première scène de deux minutes seulement, et je pourrissais déjà de l’intérieur. Le und chromosom filmprokuction au générique aurait dû me mettre sur la voie : ce film fait partie d’un essai clinique pour évaluer mon seuil de tolérance. Quand la salle se rallumera, ils me trouveront catatonique. Et tout d’un coup, plus aucune raison de râler.

Oh Boy_3 BIS ® Schiwago Film

Pour son premier film, Jan Ole Gerster propose de suivre 24h chrono Niko, sans Jack Bauer. Qu’il s’agisse de situations ponctuelles et imprévues, comme un entretien avec un psychologue, ou des retrouvailles avec une ancienne camarade de classe, ou un banal retrait d’argent à un distributeur, rien n’est simple, et tout tourne inéluctablement à son désavantage. Le portrait de Niko se dessine tout au long de cette journée désespérément drôle, sublimée par l’association du noir et blanc et du jazz, comme peut l’accomplir Woody Allen. Même si l’issue des différentes scènes douces-amères et loufoques sont souvent prévisibles, impossible d’en louper chaque savoureuse seconde. La scène fils-père au golf vaut bien celle avec le poisson d’Un air de famille. Tom Schilling interprète un loser magnifique, qui peine à organiser sa vie, mais qui a toute notre empathie : on rit des situations, pas de lui. Les rencontres avec des personnages au caractère bien trempé nous conduisent des rues de Berlin jusqu’aux courants artistiques qui l’animent. Quant à ce passé historique souvent pesant – au cinéma comme il peut l’être dans la vie -, Jan Ole Gester réussit le tour de force de l’évoquer dans deux scènes diamétralement opposées : l’auto-dérision de la première nous fait pleurer de rire, et le regard enfantin de la seconde nous touche au cœur, sans pathos. Ce ne sont là que 24h dans la vie de Nikos. Tel Antoine Doinel, on aimerait bien que, d’ici quelques années, il nous donne de ses nouvelles.

Oh Boy, Jan Ole Gester, avec Tom Schilling, Marc Hosemann, Friederike Kempter, Michael Gwisdek, Allemagne, 1h23.

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