Man Of Steel, un blockbuster virtuose et pertinent

Ce que l’on demande à l’adaptation d’un comics de super-héros au cinéma, c’est qu’elle puisse, au minimum, assurer le spectacle. On aimerait encore qu’elle ne trahisse pas les origines du personnage et apporte, si possible, un supplément, si ce n’est philosophique, du moins visuel. Autant dire qu’avec Man Of Steel, on se trouve en présence d’une assez jolie réussite.

Cinéaste réputé pour sa carrière en dents de scie, Zack Snyder est, quoi qu’il en soit, un formidable illustrateur. Un talent qu’il met au service d’une mise en scène empruntée au pop art, utilisant des icônes préexistantes pour construire son propre univers. Snyder n’a pas la prétention de dénoncer quoi que ce soit : si l’on pouvait saluer la nervosité du film, et son dépoussiérage de la figure du zombie, on pouvait légitimement regretter le choix de dépolitiser Dawn of the Dead. De la même façon, bien qu’il ait offert son plus beau générique à une adaptation d’Alan Moore, Watchmen brillait par son « art » du contresens. C’est en réalité lorsqu’il se retrouve seul maître à bord que Snyder se livre totalement, en mettant en image ses fantasmes les plus fous, et livre ce qui est à ce jour son chef-d’œuvre, Sucker Punch, blockbuster virtuose et frontalement surréaliste, ovni imposé à Warner Bros., qui ne parviendra pas à le vendre convenablement. Difficile aujourd’hui de ne pas voir dans ces films les raisons pour lesquelles Christopher Nolan a décidé de soutenir l’effronté dans cette nouvelle relecture, signée par un spécialiste (David S. Goyer) de la naissance de Superman. Cette association contre-nature fait tout le sel de l’adaptation.

on n’oublie pas ce qui importe : l’humanité.

Protégé par l’image radieuse de Nolan, tant auprès des financiers que des critiques, et pouvant se reposer sur un scénario érudit, Zack Snyder retrouve la liberté dont il avait disposé pour Sucker Punch. Il se concentre donc sur ce qu’il fait de mieux : puiser dans une banque d’images pour livrer une mise en scène originale. On retrouve, dès les premières images, le Snyder un peu fou de Sucker Punch, recyclant John Carter autant qu’Avatar, agrégeant des plans empruntés chez Greengrass ou Cameron. Ce qui agacerait chez un autre paraît ici naturel : Snyder impressionne ainsi par les tableaux numériques qu’il compose, le foisonnement de son action. Ce foisonnement, il va, tout au long du film, s’attacher à le rendre plus complexe encore, pour tirer ses combats titanesques vers l’abstraction. Pourtant, il n’oublie pas son sujet, et si l’œuvre tend vers le gigantisme destructeur, soutenu par les avancées des FX, tout est perçu ici à hauteur de regard humain. Loin d’égarer le spectateur, les combats sont précis, et l’on n’oublie pas ce qui importe : l’humanité.

Étonnant, donc : sans avoir l’air d’y toucher, Man Of Steel renoue avec les origines véritables de la création de Jerry Siegel et Joe Schuster. A l’instar du dernier Spiderman, qui rendait hommage aux ouvriers, on retrouve ici les racines populaires que voulaient insuffler les créateurs, souvent proches des courants libéraux, des comics d’origines. Pour se découvrir, Clark Kent va ainsi cumuler les jobs de working class hero, dont il présente d’ailleurs le physique avantageux loué par les régimes totalitaires. En parallèle, Snyder, par le biais de sa mise en scène, revient sur l’origine de la création du personnage : la destruction des Juifs d’Europe. On le voit ici se transformer en simili-Jésus et, plus tard, à l’occasion d’un plan cauchemardesque, se noyer dans un charnier dantesque. On a tendance à l’oublier, mais la naissance de Superman est une réponse à la monstruosité fasciste, conçue par deux auteurs juifs conscients de ce qu’il se tramait en Allemagne. Utiliser l’art de la bande dessinée pour battre en brèche, avec une belle ironie, l’idéologie du surhomme : voilà ce qui faisait la force de l’œuvre de Siegel et Schuster – l’étranger, le monstre, le déviant, le faible est ce qui définit notre humanité. Tout le combat de Superman – comme celui de Zack Snyder, en fin de compte – sera de se battre du côté de l’imperfection, de l’erreur, de l’accident. Un combat résolument antifasciste. On découvre alors un Snyder plus conscient qu’il n’y paraissait jusque-là : à l’image d’un Tim Burton construisant un Gotham inspiré de l’architecture fasciste pour prendre le parti d’un Joker anarchiste, Snyder intègre les codes du futurisme, leurs enchevêtrements de ferraille, pour mettre en avant l’humain, replacer le regard et l’acteur au coeur de son dispositif. Cette recherche d’humanité, d’imperfection, c’est ce qui a manqué au peuple de Krypton, et c’est la volonté d’une société parfaite qui a mené leur peuple à un véritable holocauste, provoqué semble-t-il par leur puissance technologique.

Humain après tout, se dit donc Kal-El, dont Snyder inverse le processus de naissance en super-héros. On comprend mieux pourquoi le film débute sur la planète super-héroïque, puisque pour Snyder l’important n’est pas la façon dont Clark Kent devient Superman, mais bien plus volontiers celle dont Superman devient Clark Kent. De ce point de vue, Man of Steel, offre l’une des fins les plus fidèles aux préoccupations originelles des créateurs de super-héros : Monsieur-tout-le-monde.

Man of Steel, Zack Snyder, avec Henry Cavill, Amy Adams, Michael Shannon, Etats-Unis / Canada / Grande-Bretagne, 2h20.

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